Des souris et des hommes
planterait une récolte, on serait là pour la récolter. On verrait
le résultat de nos plantations.
— Et
des lapins, dit Lennie ardemment. Et c'est moi qui les soignerais. Dis-moi
comment que je ferais, George.
— Bien
sûr, t’irais dans le champ de luzerne avec un sac. Tu remplirais le sac et tu
l'apporterais dans les cages aux lapins.
— Et
ils brouteraient, ils brouteraient, dit Lennie, comme ils font, tu sais. J’les
ai vus.
— Toutes
les six semaines, à peu près, continua George, y en aurait qui feraient des
petits. Comme ça, on aurait des tas de lapins à manger ou à vendre. Et nous
garderions quelques pigeons pour voler autour du moulin, comme ils faisaient
quand j'étais gosse.
Fasciné,
il regarda le mur au-dessus de la tête de Lennie.
— Et
ça serait à nous, et personne n' pourrait nous foutre dehors. Et si on
n'aimait pas un type, on lui dirait : « Fous le camp », et il
faudrait qu'il le fasse, nom de Dieu. Et si un ami s'amenait, on aurait un lit
de réserve, et on lui dirait : « Pourquoi que tu restes pas à passer
la nuit ? » Et, bon Dieu, il le ferait. On aurait un setter et deux
ou trois chats tigrés, mais faudra que tu fasses attention à ce que ces chats
n'attrapent pas les petits lapins.
Lennie
respirait fortement.
— Qu'ils
essaient de les attraper, les lapins, j’leur casserais les reins, nom de Dieu. J’les...
j’les écrabouillerais à coups de bâton.
Il se
calma, grognant en dedans, menaçant les chats futurs qui oseraient déranger les
futurs lapins.
George
était assis, médusé par sa propre vision.
Quand
Candy parla, tous les deux sursautèrent comme s'ils s'étaient laissé prendre en
faute. Candy dit :
— Tu
sais où il y a un endroit comme ça ?
George se
mit tout de suite sur la défensive.
— Et
quand bien même que je le saurais ? dit-il. Qu'est-ce que ça peut te faire ?
— T'as
pas besoin de me dire où que c'est. Ça pourrait être n'importe où.
— Certainement,
dit George. C'est vrai. T’y mettrais cent ans que tu n' pourrais pas l' trouver.
Candy
reprit, très agité.
— Combien
qu'on demande pour un endroit comme ça ?
George le
regardait soupçonneux :
— Ben...
j’pourrais l'avoir pour six cents dollars. Les vieux types qui y habitent sont
fauchés, et la vieille a besoin d'une opération. Dis... qu'est-ce que ça peut
bien te foutre ? Nos affaires, ça n' te regarde pas.
Candy dit :
— J’suis
pas bon à grand-chose, avec une seule main. J'ai perdu ma main ici même, dans
ce ranch. C'est pour ça qu'on me donne toutes les petites besognes. Et on m'a
donné deux cent cinquante dollars parce que j'avais perdu ma main. Et j'en ai
cinquante de plus en dépôt à la banque, à l'heure qu'il est. Ça fait trois
cents, et, à la fin du mois, j'en aurai cinquante de plus. J’vas vous dire... — Il
se pencha ardemment : — Si j’me joignais à vous, les gars ?
Ça ferait trois cent cinquante dollars que j’pourrais y mettre. J’suis pas bon
à grand-chose, mais je peux faire la cuisine, et soigner les poulets, et
piocher un peu le jardin. Qu'est-ce que vous en dites ?
George
ferma les yeux à demi.
— Faut
que je réfléchisse. On avait toujours pensé faire ça ensemble, rien que nous
deux.
Candy
l'interrompit :
— J’ferais
un testament, et j’vous laisserais ma part au cas que je crèverais, parce que
j'ai pas de parents, rien. Vous avez de l'argent, vous autres ? On
pourrait peut-être s'arranger tout de suite.
George
cracha par terre d'un air dégoûté.
— Nous
avons dix dollars à nous deux.
Il ajouta,
pensif :
— Écoute,
si moi et Lennie on travaille un mois sans rien dépenser, ça nous fera cent
dollars. Ça ferait quatre cent cinquante. J’parie qu'on pourrait l'avoir pour
ce prix-là. Alors, toi et Lennie, vous pourriez commencer à l'arranger, et moi,
je me trouverais un emploi pour payer le reste, et vous pourriez vendre des
œufs et des trucs comme ça.
Ils
restèrent silencieux. Ils se regardaient les uns les autres, étonnés. Cette
chose, qu'ils n'avaient jamais vraiment crue, était sur le point de se
réaliser. George dit avec componction :
— Nom
de Dieu ! J’parie qu'on pourrait l'avoir.
L'émerveillement
emplissait ses yeux.
— J’parie
qu'on pourrait l'avoir, répéta-t-il doucement.
Candy
s'assit sur le bord de son lit. Il gratta nerveusement son poignet mutilé.
— Je
me suis blessé, il y a quatre ans, dit-il.
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