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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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ce n’est pas tout.
Je voudrais aussi une autre soupe et une boule de pain car j’ai encore très
faim… et aussi un emplâtre pour mon épaule brûlée.
    La toile de sa chemise s’était
collée à la flétrissure et l’infectait.
    En fin de journée, profitant de ce
qu’il n’était plus ferré au cou, Justinien put surprendre un rat qui trottinait
avec arrogance dans la zone des quatre pieds et lui broyer la tête d’un coup
d’écuelle de bois. Ses compagnons applaudirent. Il leur lança la bestiole morte
qu’ils dépecèrent avec leurs ongles avant de se la partager équitablement.
     
    *
     
    Douze jours et douze nuits s’étaient
écoulés lorsque au matin du treizième, la trappe du cachot des sols du Roi
s’ouvrit pour laisser descendre Baldo et Vitou suivis de Bredin, le premier
portant l’enclume, le second les chaînes. Leur bourse étant vide, ils ne
pouvaient plus payer leur cellule de la tour. Il pleuvait depuis la veille et
le niveau des douves était monté au point de se déverser par la lucarne,
transformant le sol en un véritable marécage. La vue de Justinien en train
d’écrire, douillettement assis sur un coussin posé sur le plancher l’isolant
des boues, leur tira une grimace de surprise. Bien qu’il fût toujours enchaîné,
il ne l’était plus que par une seule cheville et disposait d’une écritoire,
d’un bougeoir et d’une petite table basse. De temps en temps, il piochait une
cerise dans une coupe pleine.
    Baldo cherchait une méchanceté à lui
lancer lorsqu’il crut rêver : ce balourd de guichetier demandait au
drôle :
    — Où veux-tu que je les
mette ?
    Interrompant son travail de scribe,
Justinien dévisagea les deux saltimbanques, songeant à Mouchette et à leurs
ébats sur l’herbe de la rive du Dourdou.
    — Pas à côté de moi, en tout
cas ! Tiens, colloque-les plutôt là où j’étais, oui, là où est cette
flaque.
    Il cracha un noyau de cerise dans la
direction indiquée.
    — Par le Diantre velu,
qu’est-ce que ça veut dire ? Depuis quand c’est ce triple drôle sans tarin
qui ordonne par ici ? se rebiffa Baldo, de plus en plus incrédule.
    — Combien me dois-tu
déjà ? demanda Justinien à Bredin.
    — Cinq sols, mais je t’ai dit
que je te les baillerais la semaine prochaine.
    Le fils aîné du geôlier s’était
entiché de la fille de Fenaille, un rétameur-rémouleur de la rue de la Bigorne,
et lui composait presque chaque jour des poèmes que Justinien corrigeait, puis
recopiait au propre à raison d’un sol les dix lignes (un professionnel en
aurait réclamé trois).
    — Je t’en rabats deux si tu
paumes pour moi ce maroufle. Et si tu cognes fort, j’écris ton prochain poulet
gratuitement.
    Bredin frappa comme un sourd jusqu’à
ce que le troubadour-funambule tombe à genoux dans la boue, puis de tout son
long en demandant grâce.
    Bredin désigna alors Vitou.
    — Ah non, pas moi ! Je
n’ai rien dit, moi !
    — Lui aussi, dit Justinien en
embouchant une cerise.
    Ces deux-là l’avaient trompé,
humilié, assommé et dépouillé. Pour eux, il avait trahi la confiance des siens
et quitté Roumégoux sans espoir de retour.
     
    *
     
    Deux jours après les Rameaux, le
cocher de la chaise de poste Rodez-Millau déclara avoir vu la chaîne à Montrozier.
    « Elle sera donc demain à la
maison de force de Gabriac et après-demain ici », calcula Maître Beaulouis
en grattant son coude gauche, signe chez lui de perplexité.
    Pour une population de quelque trois
mille âmes, la ville comptait quatre écrivains publics ; ce nombre eût été
suffisant sans l’esprit procédurier qui animait les gens du Rouergue en général
et ceux de Bellerocaille en particulier. De plus, un seul de ces scribes, le
bedeau, était capable de tourner un texte en latin. Surchargé de commandes, il
exigeait un délai d’une semaine, souvent plus, pour les satisfaire. Avec son
prisonnier au nez de bois à sa disposition, Beaulouis se savait en position de
briser ce monopole en offrant une prestation de qualité supérieure à un prix
inférieur. Le baron Raoul ne serait que trop heureux de lui vendre un office
d’écrivain.
    Comme une métairie, un office était
une marchandise négociable à deniers comptant. Aussitôt acheté, il
devenait un bien de famille transmissible par héritage (moyennant un relief).
Comme c’était aussi une forme privilégiée d’ascension sociale, les gens de
condition qualifiaient la vente

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