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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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de
voir la mer et de naviguer…
    Les gardes les ligotèrent et les
ramenèrent à la tour-prison. Beaulouis et ses fils les attendaient dans la
basse-cour, affairés autour d’un brasero dans lequel était fiché un long fer à
flétrir. Chaque condamné devait être marqué à l’épaule droite des lettres GAL.
    — Dépoitraillez-les, ordonna le
Verrou humain.
    Justinien refusa et se débattit
comme un forcené avant d’être plaqué à terre. Bredin et Jacquot s’assirent sur
son dos pour le maintenir immobile pendant que Beaulouis appliquait le fer sur
son épaule dénudée. Justinien hurla.
    Baldo et Vitou subirent leur sort
avec résignation, serrant les dents quand la peau grésilla en dégageant une
forte odeur de viande rôtie. Étant toujours en fonds, ils réintégrèrent leur
cellule à dix sols alors que Justinien, désespéré, affamé, l’épaule en feu,
retrouvait ses compagnons d’infortune.
    — Combien ? lui
demandèrent-ils.
    — Vingt ans.
    — Les autres aussi ?
    — Non, juste moi.
    — C’était donc toi leur
chef ! Tu nous as bien embabouinés, avec tes jérémiades.
    Justinien ne répondit pas. Il resta
prostré jusqu’à ce que la trappe s’ouvre et que l’échelle apparaisse. Un
miséricordieux en bure marron la descendit prudemment. Après s’être assuré que
le prisonnier n’était pas lépreux, il adoucit les brûlures des flétrissures en
y appliquant une épaisse couche de propolis.
    — Pour l’amour de Notre
Seigneur, je vous supplie de me procurer de quoi écrire afin que je puisse
implorer ma grâce auprès de Monseigneur le Baron. Il est mon seul recours. Mais
avant tout, mon frère, donnez-moi à manger. Je n’ai rien avalé depuis deux
jours et mon estomac défaille.
    Le miséricordieux transmit sa
requête au geôlier et lui versa six deniers (un demi-sol) pour qu’il lui fasse
servir une soupe. Maître Beaulouis s’était étonné :
    — Ce triple drôle prétend
savoir écrire ? Voilà qui n’est pas de mode chez les saltimbanques.
    Lui-même, s’il pouvait lire, n’avait
jamais su écrire : un préjudice certain pour une charge riche en
écritures. Bredin, son aîné, s’y était essayé, mais il était si peu doué que
pour les mémoires de frais importants il devait faire appel aux services d’un
écrivain public à un hardi la ligne, à un liard si elle était en latin.
    — Prends ton écritoire,
ordonna-t-il à son fils en allumant une torche.
    Ils descendirent au cachot.
    — Le miséricordieux me fait
savoir que tu veux demander ta grâce au baron. C’est ton droit, voici de quoi
faire, dit Beaulouis à Justinien.
    Bredin lui remit un écritoire-pupitre
qu’il appuya sur ses cuisses.
    — J’aurais préféré manger
d’abord, j’ai tellement faim, dit le jeune homme, déçu.
    Il souleva cependant le rabat sous
lequel étaient encastrés l’encrier de faïence, la boîte à sable,
l’essuie-plume, le stylet taille-plume, l’étui à plumes, le godet à éponge et
le grattoir pour les fautes. Le papier était glissé dans un petit tiroir
formant la base. Justinien ouvrit l’étui et fit la moue à la vue de la plume de
sarcelle mal taillée.
    — C’est avec un taille-plume
qu’on forme une plume, pas avec les dents.
    Le geôlier eut un lourd regard vers
son fils qui émit quelques grognements confus. Justinien refit la pointe en
expliquant qu’on la taillait grosse ou menue selon l’écriture choisie, celle-ci
se déterminant selon la qualité du destinataire et la nature de la requête (il
en existait six : la fine, la ronde, la modeste, la gothique, l’anguleuse
et la gribouille). Pour une grâce, la modeste s’imposait. Sans efforts ni
hésitations, sa main vola sur le papier, rapide, légère, parfaitement sûre
d’elle.
     
    Au Très-Haut, Très-Puissant, Très-Noble Baron, Votre
humble serviteur a l’honneur de vous présenter le tableau de sa détestable
situation…
     
    En moins de temps qu’il n’en fallait
à Bredin pour écrire une ligne, il couvrit la feuille de son histoire, la
signa, sabla pour sécher l’encre, la plia en quatre et l’adressa à « Son
Excellence Monsieur le Baron Raoul Boutefeux, Haut Seigneur de
Bellerocaille ».
    — Sais-tu écrire en
latin ? demanda Beaulouis en en prenant livraison tandis que Bredin
récupérait l’écritoire.
    Oubliant sa flétrissure, Justinien
haussa les épaules et gémit.
    — Je sais.
    Le geôlier marqua un temps d’arrêt
au pied de

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