Dieu et nous seuls pouvons
jour se levait quand il atteignit
les abords du village de Cantabel. Il réveilla un groupe de pèlerins qui
dormaient serrés les uns contre les autres non loin de la grand-porte et leur demanda
s’ils avaient croisé un chariot de saltimbanques. Mécontents d’être ainsi tirés
de leur sommeil, ceux-ci l’insultèrent, allant jusqu’à le menacer de l’assommer
à coups de pierre s’il persistait à les importuner.
Plus tard, il s’assit sous un arbre et
mangea le pain, le fromage et le boudin à l’ail pris dans le garde-manger
d’Éponine avant de partir… A cette heure, ils avaient deviné qu’il les avait
quittés pour de bon.
Son vol était-il découvert ?
Sans doute. Qu’allait-on penser de lui ? Et pourquoi avait-il mis le feu à
ce rideau ? Pour dissimuler son forfait, bien sûr. Ce qui était une
parfaite crucherie puisque le frère économe ne manquerait pas de fouiller dans
les cendres à la recherche de ses pièces qui ne pouvaient pas avoir disparu dans
l’incendie.
— En plus d’un bricon je suis
un nigaud, se jugea-t-il sévèrement en ayant honte, vraiment très honte.
Non loin de Beaujour (où il avait
dormi lors de son dernier passage), il croisa un marchand d’almanachs qui lui
certifia avoir vu passer un chariot de saltimbanques en route vers Racleterre.
La description qu’il en fit, surtout celle de Mouchette, ne laissait aucun
doute sur leur identité. Il accéléra le pas. Il lui fallut encore dix longues
heures avant d’apercevoir leur campement dressé entre la rivière et les
murailles du bourg fortifié. Il faisait nuit et ils dormaient tous à poings
fermés.
S’adossant à une pierre proche de la
jeune femme, Justinien attendit le lever du jour en se mordant l’intérieur des
joues pour ne pas s’endormir. Parfois il souriait en imaginant leur surprise au
réveil.
Le ciel rosissait lentement
au-dessus des arbres quand, vaincu par la fatigue, le garçon piqua du nez en
avant et s’assoupit comme une masse.
*
Les mouches, le soleil et les
fourmis entrées dans son oreille l’avaient tiré de sa torpeur. D’abord il eut
mal au crâne, puis il vit que les saltimbanques avaient levé le camp, il se
découvrit alors nu comme un ver. Ils lui avaient tout volé. TOUT, même son nez.
Palpant sa tête douloureuse, il trouva une bosse de la taille d’un œuf de poule
et se demanda lequel des quatre l’avait assommé. L’idée que ce pût être
Mouchette lui fut désagréable. Il se traînait jusqu’à la rivière pour y
rafraîchir sa bosse lorsque des bruits de voix l’affolèrent. Il voulut se
cacher derrière un gros rocher mais on le vit.
— Le voilà ! s’écria
l’homme, suivi de quatre miliciens de Racleterre. Qu’est-ce que je vous
disais ! Seulement moi, quand je l’ai vu tout à l’heure, il ne bougeait
pas et j’ai cru qu’on l’avait occis.
Les miliciens braquèrent leurs
piques acérées vers Justinien.
— Qui es-tu ? Pourquoi te
caches-tu ? Qu’est-ce que c’est que cette tenue ! Ventre-chou, en
plus il n’a pas de nez !
Une main en coquille sur son
bas-ventre, l’autre sur son crâne douloureux, le jeune homme s’écarta du rocher
en s’efforçant de réfléchir à quelque chose de plausible.
— J’ai cru que c’étaient mes
détrousseurs qui revenaient pour m’achever.
Les mensonges vinrent avec aisance.
Il se prétendit pèlerin, originaire de Clermont et sur sa route vers le sanctuaire
de Rocamadour.
— Quand je suis arrivé hier, il
faisait nuit et les portes de la ville étaient closes. J’ai vu ce campement de
saltimbanques près de la rivière, je me suis installé près d’eux pour être en
sécurité. Ils dormaient tous, j’avais marché toute la journée, j’étais fatigué,
je me suis endormi et voilà…
Sa jeunesse, sa bonne mine (malgré
son absence de nez), son aisance de langage, mais surtout sa grosse bosse que
chacun vint palper convaincurent les miliciens qui relevèrent leurs piques.
Apitoyé par sa mésaventure,
Childéric Tricotin, le forgeron, qui l’avait cru mort et avait prévenu la
milice, l’invita à le suivre.
— Tu ne peux pas rester comme
ça, je vais te bailler quelques hardes. En attendant, arrange-toi avec ça,
dit-il en lui tendant plusieurs branches qu’il venait de briser à un jeune
chêne.
C’est donc dans un accoutrement
digne d’un sauvage du Nouveau Monde que Justinien fit une entrée remarquée dans
Racleterre.
Son nez ou plutôt
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