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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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soir avec quinze
livres seulement, ou quelque chose de même valeur, et tu pourras nous suivre
pendant trois mois.
    Mouchette remplit les godets. Ils
trinquèrent pour sceller l’accord.
    Baldo se mit à jouer un air triste
sur son angélique tandis que Vitou jonglait avec des brandons enflammés. La
Margote s’endormit en ronflant. Comme Mouchette ne se décidait pas à ramasser
la couverture bariolée, Justinien montra quelques signes d’impatience.
    — Pas ce soir, dit-elle d’une
voix maussade. J’ai comme des pierres brûlantes dans la tête.
    — Mais j’en ai envie, moi.
    — Moi pas.
    Cela dit, elle disparut à
l’intérieur du chariot et il la vit lacer les cordons de la bâche.
    Dessaoulé, Justinien se dressa sur
ses jambes et quitta le campement sans répondre à l’invitation de Baldo à
reprendre un autre verre de vin.
    Il se sentait tellement mortifié
qu’il prit l’irrévocable décision de ne plus la revoir. Et tant pis pour la
monnaie de son écu, et tant pis pour le voyage à Marseille. Il verrait la mer
une autre fois.
    S’il se coucha tôt ce soir-là, il
eut les pires difficultés à s’endormir.
    Le lendemain, jour du Seigneur, il
resta à jeun, revêtit son habit de drap et fit une grande joie à sa nourrice en
l’accompagnant à la messe de prime.
    Bien qu’il sût qu’une hostie
consacrée pouvait parfaitement brûler la langue des menteurs en dégageant une
fumée verte et nauséabonde (elle perçait celle des débauchés), il communia à
ses côtés, fermant les yeux lorsque le curé la déposa sur ses papilles.
    Rien n’arriva. L’hostie avait son
goût habituel de farine sans sel et sans levain. Elle fondit normalement et il
put l’avaler sans étouffer ni même tousser.
    Ainsi, en dépit des affirmations
répétées du Grand Vigilant, peut-être était-il possible de berner Dieu,
d’échapper à Sa vigilance universelle… Lucifer n’était-il pas un ange en état
de rébellion chronique contre son créateur ? Un ange déchu sans doute,
mais cela ne l’avait pas empêché de se tailler un véritable empire dans le
Royaume des cieux. Un empire dont on ne l’avait pas délogé à ce jour… De plus,
Lucifer n’était pas seul à faire le mal en toute impunité. Aux dernières
nouvelles, il était entouré du prince Belzébuth, reconnaissable à son profil
désagréable, du grand-duc Astaroth, qui tirait la langue constamment, du comte
Lucifuge Rofocale, Premier ministre, qui s’occupait des contrats de conversion
diabolique et possédait trois têtes : une de crapaud, une d’homme jeune,
une de chat noir, et de Marchocias, le grand maréchal des légions démoniaques,
qui ne savait pas écrire et signait ses ordres en dessinant un papillon
vénéneux n’existant que sur la rive droite du Styx.
    Justinien arrivait à entrevoir la
possibilité de pécher impunément, à condition de ne pas se faire prendre.
    L’irrévocabilité de sa décision de
ne plus revoir Mouchette commença à s’effriter dès l’instant où il sut que la
troupe venait de s’installer place du Ratoulet.
    Afin de mieux résister, il passa la
journée dans les bois de l’ordre, à ramasser des champignons et des mûres.
    — Même si j’avais encore
l’intention de partir avec eux, que je n’ai, bien sûr, pas, je ne le pourrais
puisque je n’ai pas l’argent nécessaire et que je n’ai pas la moindre idée de
la manière de me le procurer avant ce soir… à moins de voler.
    Il rentrait au bourg quand la
fourche des arbres commença à évoquer trop systématiquement celle des cuisses
de Mouchette.
    Au lieu de se précipiter sur la
place comme il en défaillait d’envie, il fit un large détour pour l’éviter.
    Assis sur le pas de la porte, Martin
savourait les derniers rayons du soleil en taillant une branche d’if en quille
de frégate royale. Justinien s’assit près de lui et le regarda faire en
silence. Au loin, la rumeur du village qui prenait du bon temps sur la place
leur parvenait, parfois enflée d’applaudissements fournis.
    Au bout d’un moment assez long pour
faire cuire une fouace, Martin leva le nez de son ouvrage et dit :
    — C’est à cause de cette
danseuse que tu as l’air d’un chien battu ? Elle n’a pas goûté notre vin
peut-être ? Pourtant tu n’as pas choisi le plus mauvais.
    Les joues du garçon prirent la
couleur d’une crête de coq. Le vieux marin sourit pour le rassurer.
    — Ne te chaille pas, Éponine
n’en saura rien.

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