Dieu et nous seuls pouvons
ont
réussi à leur échapper… ils sont vivants quelque part dans cette forêt.
« A moins qu’ils n’aient été
poursuivis, rattrapés, tués et laissés sur place », pensa Léon. Griffu
reniflait bruyamment les litières, s’attardant parfois, comme pris d’un doute.
Ils sortirent de la cahute et inspectèrent la clairière, relevant plusieurs
traces de roue, dont celles de l’ancienne ambulance, plus larges, aisément
reconnaissables.
— Ils ont quitté l’oustal en
début de relevée et ont dû atteindre la forêt à l’obscur. A mon sens, l’attaque
n’a pu avoir lieu ici. Henri a dû bivouaquer le long du grand chemin… Ces
maudits les ont transportés ici pour être tranquilles… Venez, retournons à La
Pierre-Creuse.
Ils approchaient du grand rocher
lorsque Griffu, qui précédait le cheval, tomba en arrêt, la queue raide, le
mufle frémissant, les oreilles dressées. Léon brida Taillevent qui stoppa.
Soudain le molosse aboya joyeusement, puis bondit dans l’épaisse fougeraie.
Abandonnant le landau au milieu du sentier, ils se précipitèrent sur sa trace,
gênés par les ronces, le cœur battant.
— Il n’aboierait pas ainsi
s’ils étaient morts, cria Casimir d’une voix essoufflée.
« Pourvu que ce ne soit pas
après un sanglier ! » se dit Léon, pessimiste de nature.
« Pourvu que Saturnin soit
vivant ! » songea Hippolyte.
Ce qu’ils découvrirent, et furent
obligés de faire, resta un secret absolu entre eux. Plus tard, pas un n’en
souffla mot… jamais, à personne.
Chapitre II
Avant de devenir le capitaine
Thomas, chef d’une bande de sanguinaires chauffeurs de paturons, Thomas
Lerecoux avait été le cinquième enfant d’une famille qui en comptait onze. Ses
parents, des petits fermiers de la région de Roumégoux, exploitaient un lopin
de terre si pentu qu’en certains endroits il fallait s’attacher à un piquet
pour pouvoir le moissonner.
Un jour, un voisin mit en vente l’hectare
de terrain plus plat et mieux orienté jouxtant le leur.
Thomas, qui venait de tirer le bon
numéro à la conscription, fut sommé par son père d’aller le vendre à un
marchand d’hommes de Rodez.
— Mais je ne veux pas devenir
soldat, c’est une vie d’esclave !
— L’occasion d’acheter cette
pièce est trop belle. Tu dois partir, Thomas, tu n’es pas le cap d’oustal
(l’aîné).
— Ce n’est pas juste.
— C’est l’usage.
Thomas se soumit. Accompagné de son
père, il se rendit à Rodez où un marchand d’hommes établit un contrat de
remplacement avec un fils de riche propriétaire terrien qui avait tiré le
mauvais numéro. Il signa, son père empocha l’argent. Le soir même, il était
incorporé au 122 e régiment d’infanterie.
Doté d’une nature vigoureuse et d’un
caractère peu disposé à faire contre mauvaise fortune bon cœur, Thomas se
révéla d’emblée rétif à toute forme de dressage. Accusé de rébellion envers un
sous-officier qui l’avait frappé au visage, Thomas Lerecoux fut sévèrement
condamné. On le transféra dans une forteresse militaire proche de Besançon et
on opposa à sa violence une plus grande violence encore, qui l’humilia puis le
brisa jusqu’à l’âme, faisant de lui un être dénué de scrupules, vicieux comme
un râteau oublié dans l’herbe, méchant comme une belette prise au piège.
Sept ans passèrent avant que
l’administration ne se décide à le libérer, le livrant subitement à lui-même en
plein hiver, le crâne rasé et quelques francs en poche.
Avec la vague intention de rentrer
au pays, Thomas se mit en marche vers le sud.
Quand son pécule fut épuisé et qu’il
eut faim, il agressa un colporteur qui se défendit comme un diable, hurlant
imprudemment : « Je te vois, bandit, je te vois et je te
reconnaîtrai ! » Thomas lui fendit le crâne avec un gros caillou, le
dépouilla de sa bourse (hélas, fort plate), puis abusa longuement de son corps
avant de l’abandonner dans un fossé qu’il recouvrit de feuilles mortes.
Marchant la nuit, dormant le jour,
il avança droit devant lui, tuant et violant, ici un rémouleur berrichon, là un
taupier du Dauphiné.
Un soir où il neigeait et où il
grelottait de froid, il attaqua une fermette, ligota les femmes et les enfants
et chauffa les pieds de l’homme jusqu’à ce qu’il livre son magot. Riche d’une
trentaine de francs seulement, il occit prudemment tout le monde, viola une
femme pour changer
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