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Dieu et nous seuls pouvons

Dieu et nous seuls pouvons

Titel: Dieu et nous seuls pouvons Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Folco
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et mit ensuite le feu à la ferme.
    Coupant à travers champs et forêts,
se terrant dès qu’il apercevait quelqu’un, il marcha deux jours et deux nuits
en dressant un vaste plan d’avenir qui consistait à rentrer au pays, à acheter
une vingtaine d’hectares de fromentaux (bien plats), à se marier et à
construire un oustal pour sa future lignée.
    Poursuivant sa descente plein sud,
Thomas tua un ramoneur savoyard qui n’avait que cinq francs et un marchand de
lacets qui n’en possédait que deux. C’était peu, mais c’était mieux que rien et
c’était si facile. On engageait la conversation, on sympathisait, on guettait
l’instant propice et vlan ! Toujours par-derrière, toujours très fort sur
la tête pour qu’il n’y ait aucun risque de contre-attaque. Le grand moment
était celui de la fouille (combien allait-il trouver cette fois ?), puis
venait celui du viol, long, bruyant, laborieux.
    Tout en continuant d’occire tout ce
qui était faible, isolé et sans défense, il finit par admettre que les
bénéfices n’étaient pas à la hauteur des efforts déployés et qu’il lui faudrait
des mois pour réunir la somme nécessaire à la réalisation de son plan d’avenir.
Il rêva d’une bande qui lui permettrait des gros coups : une bande qu’il
commanderait comme un capitaine sa compagnie.
     
    *
     
    Quand Thomas Lerecoux parvint en
Aveyron pour établir son quartier général dans la forêt des Palanges, six ans
s’étaient écoulés depuis sa libération du bagne militaire ; il était
devenu non pas un propriétaire terrien des environs de Roumégoux, mais le
redoutable chef d’une bande de chauffeurs recherchée par toutes les
maréchaussées de France et de Navarre. Souvent frôlé, jamais appréhendé, il
hibernait à la mauvaise saison et réapparaissait au printemps, avec les bourgeons.
    Ce mois de mai 1901, le capitaine
Thomas, comme il aimait se faire appeler, choisit parmi les différents refuges
repérés dans la vaste forêt un ancien campement de charbonniers proche de La
Pierre-Creuse. Il jouait aux dés avec Raflette, son lieutenant limousin, un
ancien comme lui des bagnes militaires, lorsque Zek, le gitan d’Estrémadure,
placé en sentinelle avec Marius sur le grand chemin, vint signaler qu’un
fourgon s’installait pour la nuit à La Pierre-Creuse.
    — Ils sont combien ?
    — Un couple et dos chicos. J’ai vu también des grandes malles.
    — C’est bon, ça, c’est bon,
ça ! rugit Thomas. On y va.
    En plus de Raflette, Zek et Marius,
la bande du capitaine Thomas comptait Guez le Nîmois, un ancien hercule de
foire qui s’était fait tatouer sur le cou Réservé à Deibler, Ducasse, un
palefrenier toulousain, bon à rien notoire, qui s’occupait des chevaux, et
Kénavo, un Breton sourcilleux et bigot qui faisait office de cuisinier. Tous
possédaient un lebel à répétition, modèle ultramoderne qui venait de remplacer
les vieux chasse-pots à aiguille dans l’armée et la gendarmerie lorsqu’ils
avaient pris d’assaut le petit poste de Saint-Luzon, l’été précédent, tuant
trois gendarmes, en blessant deux sérieusement, mettant les autres en fuite.
    En file indienne derrière leur
« capitaine », les chauffeurs de paturons suivirent le sentier
forestier faiblement éclairé par un croissant de lune que cachaient parfois des
nuages.
    La tactique de Thomas était des plus
sommaires. Il comptait neutraliser les voyageurs, effacer les traces de
l’attaque, transporter le fourgon au campement pour y faire le partage du butin
dans le calme et la sécurité, passer une bonne nuit et filer le lendemain vers
un autre campement pour guetter l’attaque suivante.
    Rassemblés près d’un feu allumé devant
leur fourgon, les voyageurs s’apprêtaient à dîner sur une table improvisée
formée de deux malles accolées recouvertes d’une nappe aux broderies de bon
augure. Non loin de là, deux chevaux entravés broutaient avec un bel entrain.
Les enfants jouaient à attraper les papillons attirés par la lumière de la
lampe tempête. La femme, une jolie blonde, versait de la soupe dans leurs
assiettes, l’homme tranchait dans un tourto de cinq livres en disant quelque
chose que Thomas n’entendit pas, invisible derrière son fourré. Il s’approcha
sans bruit, faisant signe à ses hommes de se tenir prêts. Zek lui sourit, ses
larges dents blanches luirent dans l’obscurité.
    — Papa, Saturnin dit que la
lune est plus utile que le soleil.

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