Dieu et nous seuls pouvons
oblige à lever le camp cette nuit ! En plus, on vient de fouiller
partout sans rien trouver. Des gens qui mangent sur une nappe brodée et qui
voyagent dans une véritable petite maison ont forcément un magot. Il va bien
falloir qu’il jacte, ce fils de garce. Mais en attendant, faut s’remuer et
filer à la clairière. Allez, tas de bons à rien, poussez-moi ce fourgon et
qu’ça saute !
Saturnin remua contre elle, brisant
quelques brindilles.
— Ne bouge pas. Ils peuvent
nous entendre puisque je les entends. Dors si tu le peux.
Un cri de douleur retentit. Elle
crut reconnaître la voix d’Henri. Le bruit décroissant des roues cerclées de
fer sur les cailloux lui signala que le danger immédiat s’éloignait. Sa peur diminua,
son esprit se remit en marche. Elle eut froid.
La nuit étant redevenue silencieuse,
elle voulut se redresser mais ses forces l’abandonnèrent, elle ne put
qu’esquisser un geste. La situation lui parut alors désespérée. Il aurait fallu
trouver de l’aide, prévenir la gendarmerie, se lancer à la poursuite des
bandits, sauver Henri et Antoine. Elle gémit. L’anesthésie provoquée par
l’impact de balle se dissipait, faisant place à une douleur irradiante qu’elle
utilisa pour lutter quelque temps contre une irrésistible lassitude.
En sécurité contre cette poitrine
aux odeurs si familières, Saturnin avait fini par s’endormir, le souffle
régulier.
Quand il s’éveilla, il faisait jour,
les épines des ronces brillaient de rosée et des oiseaux gazouillaient dans les
arbres, au-dessus d’eux.
— J’ai faim, dit-il en relevant
la tête pour regarder sa mère.
Celle-ci le fixa d’un œil vitreux
qu’il ne lui connaissait pas et resta silencieuse, malgré sa bouche béante.
— Maman, j’ai faim. Quand
est-ce qu’on s’en va ?
Comme elle ne bougeait pas, il crut
qu’elle dormait. Puis il vit avec effroi des fourmis qui entraient et sortaient
de sa bouche et de ses narines.
— Faut pas aller là ! leur
lança-t-il en gigotant pour se dégager des bras qui l’étreignaient.
Il n’y parvint pas. Leur rigidité
l’emprisonnait aussi sûrement que dans une cage. Il tenta à nouveau de
s’extraire, mais en vain. Il hurla quand il sentit une fourmi trottiner le long
de son cou. Puis il s’assoupit et fut réveillé en sursaut par le vacarme de la
diligence Millau-Rodez passant à toute allure devant La Pierre-Creuse. Le
soleil était haut dans le ciel et des rayons perçaient l’épaisseur du sous-bois
et de la ronceraie.
— Je veux rentrer, maman, j’ai
faim… C’est pas joli ici…
Il pleura, puis plongea à nouveau
dans un sommeil agité de rêves. Quand il ouvrit les yeux, il faisait nuit. Il
eut très peur en croyant découvrir des monstres ricanant dans les ombres qui
l’entouraient.
— Maman, maman, murmura-t-il
avant de retomber dans une léthargie protectrice.
Il entendit les rassaïres marcher
aux aurores sur le chemin forestier serpentant non loin de la ronceraie, mais
il eut peur et ne bougea pas. Beaucoup plus tard, il crut rêver en percevant
des aboiements rappelant ceux de Griffu. Puis il y eut des bruits de course dans
la futaie. Une voix lui parvint soudain :
— Je les vois ! s’écria
Hippolyte. Adèle, Saturnin, c’est nous !
— Par saint Jean-Baptiste, on
dirait qu’ils sont morts !
— Mais non, regarde, ils
bougent.
S’écorchant aux épines acérées de la
ronceraie, ils réussirent à les dégager. Ils constatèrent le décès d’Adèle et
l’état inquiétant de prostration du gamin.
Casimir montra la robe et la large
tache brune de sang séché qui s’étalait.
— La balle a dû traverser la
fémorale. Elle s’est vidée de son sang.
— C’est fini, Saturnin, viens
mon garçon, dit Hippolyte, s’agenouillant pour l’aider à se dégager du corps de
sa mère.
C’est alors qu’il comprit.
— Les bras d’Adèle sont durs
comme du fer. Il faut les briser si on veut le sortir de là. Venez m’aider,
vous autres, au lieu de bayer aux corneilles. Et toi, mon garçon, ferme les
yeux.
Les os cédèrent avec d’horribles
craquements qui restèrent gravés à jamais dans leurs oreilles.
Grelottant, trop faible pour
marcher, l’enfant fut porté jusqu’au landau où on l’enveloppa dans une
couverture. Durant le retour, il se calma progressivement et accepta quelques
cuillerées de miel et un peu d’eau citronnée. Quand ils arrivèrent, tard dans
la nuit, de la
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