Dissolution
votre dos devrait se détendre. » Il repassa devant moi et, tandis
que je me rhabillais, me scruta d’un œil sérieux, professionnel. « Votre
dos vous fait-il souvent très mal ?
— Parfois, répondis-je sèchement. Mais il n’y a pas
grand-chose à faire.
— Vous êtes extrêmement préoccupé. Ce n’est jamais bon.
— Je n’ai pas bien dormi depuis mon arrivée ici, grommelai-je.
Ce n’est guère étonnant, n’est-ce pas ? »
Ses grands yeux me fixèrent.
« Et avant ? Vous étiez en bonne santé ?
— La mélancolie est mon humeur dominante. Je l’ai sentie
croître durant ces derniers mois. Je crains que l’équilibre de mes humeurs ne
soit en train de se rompre.
— Je pense que votre esprit est échauffé, dit-il en
hochant la tête. Rien d’étonnant à cela, après ce à quoi vous avez assisté ici.
— Je ne peux m’empêcher de me sentir responsable de la
mort de ce garçon », répondis-je après un court silence. Je n’avais pas eu
l’intention de m’ouvrir ainsi à lui, mais le frère Guy avait le don, malgré que
j’en aie, de provoquer des confidences.
« Si quelqu’un est responsable, c’est moi. Il a été
empoisonné alors qu’il était sous ma garde.
— Ce qui s’est passé ici vous effraie-t-il ? »
Il secoua la tête.
« Qui voudrait me faire du mal ? Je ne suis qu’un
vieux Maure. » Il se tut un instant. « Venez à l’infirmerie. J’ai une
infusion susceptible de vous soulager. Du fenouil, du houblon, plus un ou deux
ingrédients.
— Avec plaisir. » Je le suivis le long du couloir
et m’assis sur le bord de la table tandis qu’il choisissait des herbes et
faisait chauffer de l’eau. Je regardai le crucifix espagnol sur le mur d’en
face, me rappelant avoir vu l’infirmier la veille prosterné à plat ventre
devant lui. « Avez-vous rapporté cela de votre pays ?
— Oui, il m’a suivi dans tous mes voyages. » Il mit
une dose de diverses herbes dans l’eau. « Quand ce sera prêt, buvez-en un
peu, pas trop, car alors vous auriez envie de dormir la journée entière… Je
vous remercie de me faire confiance, reprit-il après un court silence, et de me
laisser vous prescrire ce breuvage.
— Je dois faire confiance à vos talents de médecin, frère
Guy… Je crois que mes propos d’hier au sujet des prières de l’enterrement vous
ont heurté », ajoutai-je.
Il baissa la tête.
« Je comprends votre raisonnement. Vous pensez que Dieu
est indifférent à la diversité des prières.
— Je pense que le salut vient de la grâce de Dieu. Vous
n’êtes pas d’accord ? Allons ! Oublions un instant ma fonction et
parlons librement, comme des théologiens chrétiens.
— Seulement comme des théologiens ? J’ai votre
parole ?
— Oui, je vous le promets. Sangdieu ! que cette
mixture sent mauvais !
— Il faut la laisser mijoter un petit peu. » Il
croisa les bras. « Je comprends pourquoi ces nouveautés sont arrivées en
Angleterre. Il y a eu beaucoup de corruption au sein de l’Église. Mais on
pourrait régler ces problèmes par des réformes, comme ça s’est passé en Espagne.
Aujourd’hui, des milliers de frères espagnols sont en mission aux Indes pour
convertir les païens, au prix de terribles privations.
— J’ai du mal à imaginer des frères anglais dans ce
cadre.
— Moi aussi. Mais l’Espagne a montré que des réformes
sont possibles.
— Elle possède sa propre Inquisition comme récompense de
la part du pape.
— Je crains que l’Église d’Angleterre ne soit pas
réformée mais détruite.
— Mais qu’est-ce qui sera détruit ? Quoi donc ?
Le pouvoir de la papauté, la fausse doctrine du purgatoire ?
— Les « Articles de la religion » du roi
admettent que le purgatoire puisse exister.
— C’est une interprétation parmi d’autres. Moi, je pense
que le purgatoire n’existe pas. À notre mort, on est seulement sauvé par la
grâce de Dieu. Les prières de ceux qui demeurent sur terre n’ont pas la moindre
influence. »
Il secoua la tête.
« Mais alors, monsieur, que doit faire l’homme pour s’efforcer
d’être sauvé ?
— Posséder la foi.
— Et exercer la charité ?
— Si on a la foi, la charité s’ensuit.
— Martin Luther soutient que le salut n’a absolument
rien à voir avec la foi. Dieu décide avant même la naissance d’une âme si
celle-ci sera sauvée ou damnée. Cela me semble une bien cruelle
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