Dissolution
au tribunal, avec ses propos enflammés, ses grands gestes vifs,
sa passion de la discussion. Puis on vissa le couvercle et son visage fut
plongé pour toujours dans le noir. Le prieur et un moine trapu d’un certain âge
apparurent. Mark et moi nous penchâmes en même temps qu’eux pour soulever le
cercueil. Je sentis alors quelque chose bouger à l’intérieur. Mark se tourna
vers moi, les yeux écarquillés.
« Sa tête, murmurai-je. Elle a glissé. »
Suivis par la longue procession des moines, nous
transportâmes le cercueil hors de l’église, horriblement conscients de la tête
et du billot de bois qui roulaient dedans. En sortant, j’aperçus le frère
Gabriel en train de prier ardemment près du cercueil du novice Whelplay. Il
leva les yeux et fixa sur nous un regard éperdu de désespoir.
Le glas retentissant à nos oreilles, nous marchâmes dans la
neige, en direction du cimetière laïque où l’on avait creusé mie tombe, balafre
marron sur l’étendue blanche. Je jetai un coup d’œil au prieur Mortimus à côté
de moi. Son visage dur arborait une expression pensive inhabituelle.
Des serviteurs attendaient, armés de pelles. Ils s’emparèrent
du cercueil et le descendirent dans la tombe. Des flocons de neige se mirent à tomber
sans bruit par cette matinée grise, saupoudrant la terre creusée pendant qu’étaient
récitées les dernières prières et qu’on aspergeait le cercueil d’eau bénite. Au
moment où les premières mottes de terre s’abattaient sur le couvercle, l’un
derrière l’autre les moines reprirent en silence le chemin de l’église. Comme
je les suivais, le prieur me rattrapa.
« Il leur tarde de se mettre au chaud. S’ils avaient dû
comme moi monter la garde en plein hiver… » Il secoua la tête.
« Vraiment ? demandai-je, intéressé. Vous avez été
soldat ?
— Est-ce que je vous parais rude à ce point ? Non, messire
Sliardlake, j’ai jadis été officier de paix à Tonbridge. J’ai aidé le shérif de
la ville à arrêter les malfaiteurs, guetté les voleurs durant des nuits
hivernales. Et la journée, j’étais maître d’école. Êtes-vous surpris que je
sois un lettré ?
— Un peu. Mais uniquement parce que vous affectez un air
de rudesse.
— Je ne l’affecte pas. C’est inné. » Il eut un
sourire sarcastique. « Je suis écossais. Nous n’avons pas vos onctueuses
manières anglaises. Nous ne connaissons quasiment que la lutte… En tout cas, dans
les contrées frontalières d’où je viens. La vie y est une bataille, les
seigneurs pilleurs de bétail se battent entre eux, et contre vous, les Anglais.
— Qu’est-ce qui vous a fait venir en Angleterre ?
— Mes parents ont été tués quand j’étais encore enfant. Notre
ferme a été mise à sac… Oh ! par un seigneur écossais, pas par les Anglais.
— Je suis désolé de l’apprendre.
— J’allais alors à l’école de l’abbaye de Kelso. Je
voulais partir très loin et les pères ont financé mes études dans une école
anglaise. Je dois tout à l’Église. » Son regard d’habitude narquois devint
sérieux. « Les ordres religieux dressent un rempart entre le monde et l’atroce
chaos, monsieur le commissaire. »
Un autre réfugié, pensai-je. Un autre bénéficiaire de la
communauté universelle du frère Guy.
« Qu’est-ce qui vous a fait entrer dans les ordres ?
— Je me suis lassé du monde, monsieur le commissaire, des
mœurs humaines. Enfants passant leur temps à se bagarrer et à faire l’école
buissonnière si on ne les fouette pas constamment… Criminels que j’ai aidé à
attraper… Tous les hommes bêtes et cupides… Une dizaine de coupables encore
libres pour chaque homme jugé et pendu… Ah ! l’homme est un être déchu, dévoyé
et plus dur à discipliner qu’une meute de chiens. Mais, dans un monastère, on
peut au moins maintenir la discipline de Dieu.
— Et quelle est votre mission sur terre ? Le
maintien de la discipline parmi les hommes ?
— N’est-ce pas la vôtre ? N’êtes-vous pas révolté
par la mort de cet homme ? N’êtes-vous pas venu ici pour trouver et punir
son assassin ?
— La mort du commissaire vous a révolté ? »
Il s’immobilisa et me fit face.
« C’est un pas de plus vers le chaos. Vous me jugez dur,
mais croyez-moi, le diable a le bras long, et même dans l’Église on a besoin d’hommes
de ma trempe pour l’empêcher d’agir. Tout comme la loi du roi
Weitere Kostenlose Bücher