Dissolution
toussant à cause de la fumée
dégagée par la mèche. Il contenait les caractéristiques des terrains vendus, le
nom des acheteurs, le prix, ainsi que la date à laquelle le sceau avait été
apposé. Je regardai la dernière date. Selon ce registre, quatre ventes
importantes depuis un an n’avaient pas été inscrites dans les livres de comptes
du monastère. Les sommes s’élevaient à près d’un millier de livres, ce qui
était énorme. L’une des ventes, la plus importante, avait été faite au parent
de Jérôme. Je gonflai mes joues. Ce devait être le livre que Singleton avait
examiné.
Je réfléchis quelques instants, puis, prenant sur le bureau
une feuille de papier et une plume, je recopiai en hâte les divers éléments. On
pourrait demander à Copynger de confirmer que les ventes avaient effectivement
eu lieu. Je n’accepterais plus l’excuse qu’il ne s’agissait que de notes et de projections.
Cette fois-ci, je montrerais des preuves irréfragables au frère Edwig et il ne
pourrait plus se défiler.
Je remis les registres en place et réfléchis en marchant
lentement de long en large. L’économe et l’abbé – puisque c’était ce dernier
qui avait la garde du sceau du monastère – s’étaient-ils rendus coupables de
fraude ? Ils devaient bien se douter pourtant que les inspecteurs des
Augmentations la découvriraient si le monastère se soumettait. Ou bien Edwig
avait-il pu se saisir du sceau et l’utiliser à l’insu de l’abbé ? Ç’aurait
été assez facile. Et où se trouvait donc l’argent ? Les gains
correspondant à ces ventes auraient rempli un demi-coffre de plus. Tout en me
posant ces questions, je contemplai le dos des vieux registres qui tapissaient
les murs.
Quelque chose attira mon attention. La flamme de la bougie
vacillait. Je me rendis compte qu’un courant d’air s’était créé derrière moi. La
porte s’était ouverte. Je me retournai lentement. Le frère Edwig se tenait dans
l’embrasure de la porte, les yeux posés sur moi. Il jeta un coup d’œil rapide
au bureau qu’heureusement j’avais refermé à clef. Puis, pressant ses paumes l’une
contre l’autre, il s’écria : « Je n’avais auc-cune idée, monsieur le
c-commissaire, que quelqu’un était là. Vous m’avez fait p-peur.
— Je m’étonne alors que vous n’ayez pas poussé un cri de
surprise.
— J’étais muet de st-tupéfaction.
— J’ai le droit d’entrer en tout lieu. J’ai décidé d’examiner
certains de ces registres qui tapissent vos murs. Je venais tout juste de
commencer. » M’avait-il vu fouiller dans son bureau ? Non, car
autrement j’aurais senti le courant d’air plus tôt.
« Je crains qu’il ne s’agisse là que de vieux comptes.
— C’est ce que je constate.
— Je suis ravi de vous voir, monsieur, affirma-t-il en
faisant son bref sourire sans joie. Je voulais m’exc-cuser pour l’éc-clat de ce
matin. J’étais b-bouleversé que la cérémonie ait été interrompue. Je vous prie
d’oublier ce qui a été dit sans réfléchir, sous le c-coup de la c-colère. »
Je hochai la tête.
« Je sais que d’aucuns pensent comme vous, même s’ils ne
le disent pas. Mais vous vous trompez. Les sommes perçues par l’Échiquier
seront utilisées par le roi pour le bien commun.
— Vraiment, monsieur ?
— Vous ne le croyez pas ?
— À une époque où tous les hommes sont d-dévorés de
cupidité ? Ne dit-on pas que l’appât du gain n’a jamais été plus vilipendé
ni davantage p-paré d’attraits ? Les amis du roi le presseront de les
combler de ses largesses. Et qui peut demander des c-comptes au roi ?
— Dieu. Il a placé entre les mains du roi le bien-être
de ses sujets.
— Mais les rois ont d’autres p-priorités ! Ne vous
méprenez pas, je vous prie, je ne c-critique pas le roi Henri.
— Ce ne serait guère prudent.
— Je veux d-dire, les rois en général. Je connais la façon
dont ils jettent l’argent par les fenêtres. J’ai pu personnellement constater
comment on le gaspille pour les armées, par exemple. »
Il y avait dans ses yeux une vive lueur que je n’avais jamais
aperçue auparavant, un impérieux besoin de parler qui le rendait d’emblée plus
humain.
« Vraiment ? l’encourageai-je. Comment ça, mon
frère ?
— Mon père était trésorier militaire, monsieur. J’ai
passé mon enfance à aller de camp en camp afin d’apprendre son métier. Il y a
vingt ans,
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