Dissolution
suis craintif de nature. Quand elle m’envoyait promener, je n’insistais
pas. Mais je revenais à la charge. Elle semblait me tenter comme le désir de
gloire sur le champ de bataille tente les hommes.
— C’est elle qui vous tentait ?
— Ce n’était pas sa faute. Elle était femme et que font
les femmes sur terre sinon tenter les hommes ? » Il prit son souffle.
« Est-ce qu’elle s’est t-tuée ?
— Non. On lui a brisé la nuque.
— On n’aurait jamais d-dû la laisser venir ici ! s’exclama-t-il
en secouant la tête. Les femmes sont l’instrument du d-diable.
— Frère Edwig, dis-je doucement. Vous vous dites
craintif, mais je pense que vous êtes peut-être l’homme le plus impitoyable du
monastère. Et maintenant je vais vous laisser. Calculez bien… »
**
Je m’arrêtai sur le palier pour rassembler mes pensées. J’avais
été sûr que Gabriel était l’assassin et qu’il avait agi dans un moment de
grande colère. Mais si le registre que j’avais trouvé était le même que celui
découvert par Singleton, alors le frère Edwig avait un mobile clair pour
assassiner mon prédécesseur. Cependant, Singleton avait été tué sous le coup de
la passion et je ne sentais aucune passion chez l’économe à part celle des
chiffres et de l’argent. Il avait, en outre, été absent de Scarnsea durant la
nuit fatidique. Mais c’était très certainement un prévaricateur.
Comme je me tournais vers l’escalier, une lumière sur les
marais attira mon attention. J’aperçus dans le lointain deux lueurs
tremblotantes brillant dans la vase. Je me rappelai m’être dit que ces ventes
de terre devaient représenter un demi-coffre d’or et avoir rencontré le frère
Edwig le jour où je m’étais aventuré dans les marais. Et pour transporter de l’or,
qui ferait mieux l’affaire que des contrebandiers professionnels ? Je
repris mon souffle et me précipitai à l’infirmerie.
**
Assise dans la cuisine de l’infirmier, Alice était en train
de couper les racines de quelque plante. Elle me regarda un bref instant avec
une virulente hostilité avant de se forcer à sourire.
« Vous préparez l’une des potions du frère Guy ?
— Oui, monsieur.
— Maître Mark est-il revenu ?
— Il est dans votre chambre, monsieur. »
L’animosité perceptible sous la politesse guindée m’attrista.
Mark lui avait donc répété ce que je lui avais dit.
« Je reviens de la comptabilité. J’ai vu des lumières
sur les marais depuis une fenêtre du premier étage. Je me suis demandé si les
contrebandiers étaient de nouveau à l’œuvre.
— Je n’en sais rien, monsieur.
— Vous avez dit à Mark que vous nous montreriez les pistes.
— Oui, monsieur, répondit-elle d’un ton prudent.
— Ça m’intéresserait de les voir. Pourriez-vous m’y
conduire demain ? »
Elle hésita.
« J’ai des tâches à accomplir pour le frère Guy, monsieur.
— Et si je lui demandais la permission ?
— À votre service.
— Et, Alice, j’aimerais aussi… vous parler d’un sujet ou
deux. J’aimerais être votre ami, vous savez. »
Elle détourna le regard.
« Si le frère Guy m’enjoint de vous accompagner, je le
ferai bien sûr.
— Alors je vais le lui demander », répondis-je d’un
ton aussi froid que le sien. Blessé et mécontent, je suivis le couloir jusqu’à
notre chambre. Mark regardait par la fenêtre d’un air lugubre.
« J’ai demandé à Alice de me montrer les sentiers qui
traversent les marais, annonçai-je en entrant. Je viens d’y apercevoir des
lumières. J’ai compris à son attitude que tu lui avais dit que je t’avais
ordonné de la laisser tranquille.
— Je l’ai informée que vous trouviez malséant que nous
nous fréquentions. »
J’enlevai mon manteau et m’affalai dans le fauteuil.
« En effet. As-tu transmis mes ordres à l’abbé ?
— La tombe du commissaire Singleton sera nettoyée demain
et ensuite l’étang sera vidé.
— J’aimerais que tu sois présent. J’irai seul dans les
marais avec Alice. Et avant que tu dises quelque chose que tu risques de
regretter, je lui ai fait cette demande parce que je pense que ces
contrebandiers peuvent avoir de l’importance pour notre enquête. Et ensuite j’irai
en ville pour voir Copynger. » Je lui fis part de ma découverte dans le
bureau du frère Edwig.
« J’aimerais être à nouveau parmi des gens ordinaires, dit-il
en évitant mon regard. Cet
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