Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
leur présence à travers cette ombre derrière laquelle ils se tiennent… Pour tisser cette toile d’intrigues où nous allons circuler l’œil aux aguets et l’oreille aux écoutes. Voici en tête de ces conspirateurs, une figure redoutable : je ne vous présente plus monsieur de Gondi, coadjuteur de l’archevêque de Paris. Je laisse parler mes sentiments, et mon jugement…
— Mais vos sentiments et votre jugement m’intéressent, monsieur le chevalier, puisqu’ils sont ceux d’un homme loyal. J’en prendrai note, en juste part, pour me former les miens.
— Soit. Qu’est-ce que monsieur de Gondi ? Un homme d’esprit et de beau langage. Il est intelligent comme un diable et rusé comme un renard. À la cour, on l’apprécie pour ses bons mots et son allure galante. J’ose affirmer que sa robe n’est qu’un déguisement, et qu’il cache derrière sa profession de foi une malice subtile, une ambition sans bornes, un goût prononcé pour l’agitation, les jolies choses, les demoiselles du Marais et toutes ces voluptés que le monde pourrait lui offrir.
— Le portrait est saisissant. Et il me saisit d’effroi.
— Oui, l’homme est dangereux, car on lui donnerait le bon Dieu sans confession. Ce meneur a une âme sœur : madame de Chevreuse. Elle est belle, influente et se trouve toujours là où s’échafaude une cabale. Si elle avait fourni autant d’efforts à servir la France qu’elle en usa à y jeter le trouble, votre royaume, Sire, ne serait pas seulement la première puissance d’Europe, mais encore le soleil de l’univers.
— Le soleil de l’univers, dites-vous ? Quel dommage !
— Dieu donne aux hommes les talents… mais parfois, le diable en fait son jeu. Les stratèges de cette mauvaise troupe présentés, voici les serviteurs. Je ne citerai que les plus fameux. Ces serviteurs sont de grands guerriers. Nous ne pouvons les accuser de couardise. Ce sont des pur-sang indomptables et belliqueux. Quand la guerre ne les tient pas à l’étranger pour défendre votre drapeau, ils se retournent contre leur maître. Il leur faut des luttes, des armées à enfoncer, des causes à défendre… Ne pouvant se résoudre à l’inaction, ils aiment mieux participer au désordre d’une guerre civile que rester oisifs, hélas ! Voici donc monsieur le duc de Beaufort, surnommé le roi des Halles, monsieur Henri de Guise, prince de sang, monsieur le duc de Mercœur… écourtons la liste. Une fois que la reine m’eût, en toute discrétion, loin des oreilles aux portes, livré le nom de ces comploteurs que je viens de vous dénoncer, je reçois mes instructions. Vous avez carte blanche , me dit la reine. Soyez mon agent du secret, enquêtez, espionnez, avertissez-moi, que je sache ce qui se trame. Pour ce faire, disons tout, votre mère me cède une forte bourse. Grâceà elle, je devais acheter des silences, faire parler des valets, m’assurer la complicité d’auxiliaires, me créer un réseau d’informateurs.
— Lever de rideau ! L’aventure commence !
— Tambour battant, Sire, car dès le lendemain, après avoir investi une bonne part de ces deniers qu’on me confia, je suis payé de retour !
— Splendide !
— Il était temps, en effet, de s’inquiéter et de se mettre en chasse. J’avais couru tout le jour en allées et venues quand, de retour chez moi, je reçois coup sur coup deux billets. Le premier message est le suivant : Rendez-vous en la chapelle de l’église Sainte-Geneviève-des-Ardents, pour dix-sept heures.
— Mystère…
— Oui. Le second billet est une autre demande de rendez-vous, pour dix-huit heures, une heure plus tard, rue d’Enfer, en l’auberge nommée Aux trois écus .
— Après l’église, la taverne.
— Il fallait en effet prier pour quelques âmes en péril, et fêter par un trait de vin une si belle prise d’informations. Mais rendons-nous sans délai, Sire, en la rue Neuve-Notre-Dame où nous attend une révélation de première importance.
Du confessionnal à la taverne
— Nous y voilà, reprend d’Artagnan dont le visage s’anime et se colore sous l’émotion. La tête basse, le chapeau sous le bras, je rentre au confessionnal.
— Est-ce vraiment le moment ?
— Vous avez raison, l’heure n’est pas aux repentirs. D’ailleurs, si je prie Dieu, c’est à l’air libre. En face, dans la cabine, le prêtre n’est pas là pour m’écouter, mais pour me parler.
— Ainsi, c’est lui votre source ?
— Oui. Ce
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