Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
prêtre me devait un service. En vérité, je possédais quelques documents officieux qui pouvaient le compromettre. Sachant qu’il était un proche confident de monsieur de Gondi, je ne manquai pas de le lui rappeler. En bref…
— Vous le faisiez chanter.
— Pour la sûreté de l’État, Sire.
— Mais bien entendu, monsieur.
« Notre médecin des âmes, fébrile, regarde sans cesse de droite et de gauche, me parle si bas que je suis obligé de lui demander de hausser le ton. Voici ce qu’il me dit :
— Les Grands, dont monseigneur l’évêque, doivent se rencontrer demain, en un lieu retiré. Dans un château en ruine… Une ancienne propriété ayant appartenu à Geoffroy de Lanteaume.
Geoffroy de Lanteaume. Le nom ne m’est pas inconnu. L’homme s’était ouvertement révolté contre monsieur de Richelieu. L’histoire s’était tragiquement terminée, Geoffroy de Lanteaume avait payé son arrogance du prix de sa liberté, puis de sa vie. Enferré à la Bastille, dépossédé de tous ses biens, il mourut de mort lente au fond d’un cachot et son nom devint publiquement sujet d’opprobre, quand il fut pour d’autres synonymes de rébellion. Son fils Hippolyte, à l’heure de notre histoire, a d’ailleurs repris la lutte, il mène une troupe de brigands à travers bois. Il pratique le pillage et peut prêter la main à quelques entreprises criminelles ou assassines si la cause l’exige.
C’est un larron d’honneur, une tête mise à prix, un voleur de grands chemins qui vaut de l’or.
Certains l’admirent, tous le redoutent.
Le lieu – ce château dévasté, brûlé – est donc un symbole pour nos comploteurs.
Je questionne le prêtre pour en savoir plus long :
— Me direz-vous l’heure ?
— Aux premières ombres de la nuit, monsieur.
Je me fais indiquer l’emplacement exact et je ressors, après avoir renversé les rôles :
— Je ne saurais trop vous engager à réciter quelques rosaires, mon père, à l’intention de tous ces malandrins qui sont vos amis. Ils auront besoin de vos prières. D’Artagnan se place désormais en travers de leur chemin. Je dois vous rappeler, également, que du silence que vous garderez sur notre entretien dépend votre réputation. Si je devais ne pas revenir chez moi, ce que je tiens égoïstement sous clé serait aussitôt partagé à mon confesseur en titre, monsieur le cardinal de Mazarin. Je vous salue. »
— La belle réplique, monsieur ! s’exclame le jeune roi avec chaleur.
— Merci, Votre Majesté, mais suivez-moi, nous avons un autre rendez-vous.
— Je brûle de m’y rendre.
— Moi de même. Tenez, nous entrons. Après vous, Sire.
— Il n’y a qu’avec vous, monsieur le chevalier, que je pourrai jamais passer comme quiconque la porte d’une taverne.
— Eh bien, profitez du dépaysement, quittons ce triste château sans joie ni feu, et mettons-nous à table, Votre Majesté. L’endroit, cependant, n’est pas l’une de nos meilleures adresses. Nous aurons l’occasion de découvrir plus d’une enseigne illustre dans tout Paris pour la qualité de son vin, la chaleur de son hospitalité et la tendresse de ses servantes… Que tout ceci ne sorte pas d’ici.
— J’ai tout intérêt à ne pas ébruiter ces escapades. Si je suis un roi en fuite, je n’ai pas pour autant le pouvoir de prendre ma liberté.
— Cette liberté, Sire, je vous la donne. Tenez, voici notre homme, lui aussi est en avance. Notre homme, en vérité, est un jeune homme, il a cinq ans de plus que vous, tout au plus. C’est l’une de mes mouches.
— Une mouche ?
— Un agent, un informateur.
— Si jeune ?
— Les plus jeunes sont les plus rapides et parfois les plus honnêtes. Ce jeune homme n’a pas de foyer, Paris est sa vaste chambrée, la province sa résidence secondaire. On ne peut pas faire un bruit de Rouen jusqu’à Orléans sans qu’il y prête l’oreille. Je lui avais demandé de me rapporter tout événement insolite, tout mouvement suspect aux environs. Voici ce qu’il m’apprend : L’Italie nous envoie du beau monde, chevalier. D’une part, une empoisonneuse nommée Desdémone ; de l’autre, un aventurier mystérieux, un séducteur qui se fait appeler don Juan de Tolède.
À ce nom, le roi ouvre grand les yeux.
— Un beau titre, ma foi ! s’émerveille le jeune Louis XIV.
— En effet, Votre Majesté. Nous l’approcherons bientôt et vous le verrez bien en face. En l’immédiat, remettons-nous en
Weitere Kostenlose Bücher