Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
est venue sans arme. Et ces charmes puissants vous poussent à rendre les vôtres – vos armes… Elle est d’ailleurs entrée, je le suppose, et je ne crois pas me tromper, couverte d’un long manteau, le visage enfoui sous une capuche de laine, pour ne pas réveiller, chemin faisant, le vice dans certaines rues mal éclairées. Mais, une fois chez vous, elle se découvre, vous oblige à la réchauffer de vos bras, en quittant cette cape, unique vêtement, qui tombe à ses pieds… Dès lors…
— Inutile de poursuivre, répond Edmond, rouge de confusion. C’est stupéfiant de réalisme. À croire que vous m’espionniez par la fenêtre de la maison d’en face, observant la scène à la lorgnette. J’ose espérer qu’il n’en est rien, ou je serais contraint, encore une fois, de vous demander raison ! Et pas plus tard que maintenant !
L’aventurier reste immobile. Il soutient le regard de son interlocuteur. Celui-ci finit par se rasseoir. Don Juan reprend la parole :
— Du sang-froid, gentilhomme. Disons que certaines femmes – dont madame votre tante – n’ont plus guère de secrets pour moi. C’est d’ailleurs parce qu’elles sont si prévisibles qu’il faut boire en un soir à la coupe des lèvres le fond de leur âme, et disparaître ensuite. Si elle est venue se jeter dans votre lit, c’est par goût du risque et par stratégie. Vous êtes manifestement coriace et vous pourriez avoir gain de cause, voilà ce qu’elle a déjà compris.
Je décide d’intervenir.
— Vous a-t-elle fait des propositions ? Je veux dire d’ordre politique et financier…
— Non. Notre rencontre, répond le gentilhomme un peu gêné, fut purement charnelle.
— Acte II, dit don Juan, la fête au palais. Il ne vous reste plus qu’à lui parler en tête à tête, lui exposer les enjeux, ne pas hésiter à lui faire peur, tout en la laissant rêver, et enfin conclure en lui tendant la note.
— Pourtant, hier au soir… soupire Edmond, en ayant encore des doutes sur les intentions réelles de cette maîtresse décidément capable de tout.
— Heureuse parenthèse, lui répond don Juan. Mais à la fin de l’entracte, chacun reprend sa place. Défendez la vôtre.
— Mais cette liste, répond Edmond de Villefranche, soulagé de revenir à des sujets pragmatiques, il faut encore que son mari la possède.
— Certes, dis-je. Mais s’il ne l’a pas, nous ferons en sorte qu’il l’obtienne.
— C’est au fond assez simple, dit don Juan. Si un homme n’entend jamais ce qu’on lui dit, un mari écoute toujours les conseils de sa femme. Voici la marche à suivre. Primo : informer Adélaïde de ce complot que mène la Cabale – car elle peut encore ignorer son existence –, complot que son mari sert en qualité d’ambassadeur. Si elle n’est pas dans la confidence, elle n’aura qu’à dire à son époux qu’elle sait tout… qu’elle a surpris une conversation, bref, elle trouvera… Cela fait, amie de la prudence, elle mettra son mari en garde : Ne jouez pas votre tête si les autres sont certains, en cas de défaite, de protéger la leur. Exigez une garantie, prouvant qu’on ne cherchera pas à vous sacrifier, à la première embûche, comme une pièce inutile ; un document d’alliance où votre nom figurera en bonne place à côté de celui de ces messieurs.
— En effet, c’est bien raisonné, dit Edmond de Villefranche. Mais il y a un risque : qu’elle refuse ou qu’elle fasse mine d’accepter, pour jouer double jeu et nous tendre un piège. Un piège où je serai le premier à tomber.
— C’est vrai, dit don Juan, mais sans risque, pas de plaisir. Et sans plaisir, autant renoncer.
— Messieurs, dit Edmond de Villefranche en se levant, je vous serre la main, je dois vous quitter. Mais l’affaire est entendue. Je suivrai vos directives et advienne que pourra.
Un cadeau inestimable
« Quelques instants plus tard, reprend d’Artagnan, Hercule descend.
Nous n’avons pas bougé.
D’ailleurs, nous l’attendons un peu.
Lui aussi a des choses à nous raconter.
Pour s’expliquer enfin, il commence par nous dire :
— J’ai vu Edmond s’en aller, par la fenêtre qui donne sur la rue, alors je suis descendu.
Le jeune homme est plein de fougue, comme à l’ordinaire…
— Messieurs, dit-il en restant debout face à nous, je dois vous demander pardon pour ma fuite précipitée hier au soir, et vous dire merci, vous m’avez sauvé la vie. Je ne pensais qu’à en finir
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