Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

l’autre, les alliés s’achètent aussi à l’étranger. L’Espagne va bientôt tendre la main, une main gantée de noir, au parti des Frondeurs. Ces rebelles qui jettent le trouble au centre du royaume rendent un heureux service aux ennemis de la France. Quand l’adversaire ne plie pas, c’est du dedans qu’il faut l’atteindre, avec un cheval de Troie.
    Oui, le cardinal est dans une position fragile. Les dangers sont partout et les fidélités incertaines. La reine le soutient, mais la reine est une femme, et souvent femme varie. La régente, il est vrai, a déclaré une guerre ouverte à ses anciens amis, à ce Parlement qui se croit tout permis et lui tient la dragée haute.
    Il faut vaincre, quel qu’en soit le prix.
    Le cardinal fait d’ailleurs travailler ses banquiers, il compte sur ses investissements secrets pour parer à toute éventualité.
    Le cardinal n’est pas homme à faire machine arrière, ou à regarder derrière son épaule. Il ne se retourne pas. Ce qui est arrivé avec le jeune roi est arrivé, un point c’est tout. Et maintenant que les choses sont ce qu’elles sont, il aime autant que le prince soit en bonne compagnie, auprès du chevalier d’Artagnan. Pendant que Louis XIV écoute le récit de son protecteur, le jeune monarque n’a pas les yeux tournés au-dehors, il ne voit pas le ciel s’obscurcir au-dessus de sa tête.
     
    Cependant, Mazarin n’est pas dupe. Il sait bien que les conséquences de cette guerre civile seront terribles. La France en pâtira d’une manière ou d’une autre. Le futur Louis XIV sortira de ces troubles. Mazarin apprend à connaître son royal filleul. Il est volontaire, ardent, et montre parfois des penchants à la rancune. Malheur à qui lui déplaît. Pour l’heure, il n’est qu’un enfant. Il joue, mais demain, il gouvernera, il aura les clefs des prisons, des lettres de cachet sous la main, le pouvoir d’éclairer le monde ou de lancer la foudre, maître de plus de vingt provinces, comme Dieu l’est de toute la création. Au fond de lui, Mazarin le sait. Tôt ou tard, les frondeurs, la noblesse rebelle à l’autorité de la couronne, subiront les représailles du roi de France.
    Pourvu que cette guerre ne dure pas. C’est désormais la seule chose à espérer.
    De la mesure, de la mesure…
    — Votre Majesté, dit d’Artagnan en reprenant le cours de son récit, une nouvelle et longue journée nous attend.
     
    « La nuit fut bien arrosée, je ne le cache pas, mais pourtant j’ai pour habitude de me lever avec l’astre du jour. Quand il paraît, il sonne mon réveil. Durant toute la durée de cette mission, je garde mon poste à l’hostellerie du Soleil d’or . Je n’y suis d’ailleurs pas mal logé. Ma chambre est modeste, je n’y ai que le nécessaire mais le nécessaire me suffit.
    Encore une fois, nous nous retrouvons dans la salle commune, don Juan de Tolède et moi-même. La porte s’ouvre, c’est Hercule qui revient… de loin. Il est aussi rayonnant que la veille, quand il sortait alors du lit d’une tragédienne jouant aussi bien la comédie sur scène que dans la vie courante.
    Mon ami et partenaire don Juan de Tolède ne se montre pas jaloux, ou alors il le cache, mais je lis l’inquiétude sur son visage. La louve va dévorer l’agneau , doit-il se dire , et n’en faire qu’une bouchée .
    Hercule vient s’asseoir à notre table, nous l’accueillons.
    Mais à peine vient-il de s’installer qu’il doit se relever. Edmond de Villefranche descend les marches. Il n’a pas l’air content. Cela se voit. Hercule est rouge comme une pivoine. Heureusement, son maître ne lui laisse pas le temps de parler, et sans doute, de trop en dire.
    Le gentilhomme commande d’un geste à son page de le suivre.
    Ils se tiennent tous deux à quelques pas de nous. Assez près pour que nous puissions tout entendre.
    — La belle vie que vous menez, monsieur ! À rentrer à l’aube, encore une fois ! Non, taisez-vous. J’imagine assez bien d’où vous venez, qui vous venez de quitter… Cette comédienne ne vous laisse pas une heure de sommeil. Vous êtes amoureux, n’est-ce pas et l’on vous aime ?
    Hercule ne peut démentir, et il ne tient pas à entrer dans les détails. Soit, il vaut certainement mieux que son maître secontente de cette vérité-là, vérité de la veille, qui n’est plus celle d’aujourd’hui.
    D’ailleurs, le gentilhomme fronce le sourcil, mais il sourit du coin des lèvres. Son reproche