Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
en quittant la compagnie de ces lâches témoins qui me virent sous mon plus mauvais jour, je souffrais… Mais par deux fois, je fus repêché des abîmes. Si votre bras, à tous deux, me délivra de la mort, une main me tira des Enfers.
Évidemment, nous ne sommes pas censés savoir.
Et Hercule nous dit tout. Il nous parle de cette femme mystérieuse qui est venue, à point nommé, pour lui ouvrir sa porte et lui offrir son amour, au moment où il allait se perdre.
— Et j’aime, dit Hercule, j’aime encore, à nouveau… Est-ce possible ? Passer ainsi d’un gouffre à un autre, de femme en femme… et se brûler à chaque fois, jusqu’à la corde, comme si notre salut en dépendait. Je monte au Capitole, je suis rabaissé au plus bas, traîné dans la fange, je me vois vide, anéanti, brisé sous la roue, et là, quand je ne suis plus rien, tout recommence, et de plus belle, plus fort encore ! Ah, si vous saviez ! J’ai vécu toute une vie, déjà, depuis mon arrivée à Paris, je suis descendu au tombeau et sans attendre le troisième jour, le soir même, je montais dans la lumière, tenant la main d’un ange…
Nous demeurons silencieux, tous deux, Amadéor-don Juan de Tolède et moi-même.
Et Hercule continue :
— Oui, cette femme, monsieur d’Artagnan, vous la connaissez, c’est cette Italienne, arrivée avant-hier en carrosse… celleque tout un peuple voulait voir rouler sous le sabot des chevaux !
— Mais cette femme, dit don Juan, savez-vous bien qui elle est ?
— Je viens de vous le dire, une muse, une apparition, une étoile au firmament…
— Elle est riche, n’est-ce pas ?
— Cela m’est égal !
Sublime réponse, dite avec un accent de sincérité qui donne le frisson.
— Mais cette richesse, poursuit le don Juan, impitoyable, savez-vous d’où elle vient ?
— Que m’importe, je sais que son âme vient du Ciel.
— Du poison ! Jeune homme, de la mort, du néant !
— Oui, elle m’a tout raconté.
Cette fois, don Juan reste bouche bée. Hercule sait tout, mais rien ne l’effraie.
— Tout ? insiste l’aventurier. Ces crimes, ces témoins gênants respirant à pleins poumons le parfum noir de la mandragore, ces héritiers rayés des testaments par une ligne de sang, ces cadavres jetés au petit matin dans le canal de Venise, à peine sortis de la couche de cette femme… ?
— Oui, monsieur, dit Hercule, en se relevant brusquement, je sais tout ! Et cela n’est que la moitié de la vérité. Je l’ai défendue sans la connaître, pensant qu’elle était innocente et la foule coupable d’ignorance… Mais l’amour, monsieur, n’a ni mesure ni vindicte ! Il lave de toutes les fautes, il exauce toutes les prières ! Cette femme a souffert, elle n’a pas besoin de me le dire pour que je le sache ! Elle est venue au crime parce qu’on l’y a poussée, mais l’œuvre abjecte de la fatalité – le malheur appelant la misère, la misère la déchéance, la déchéance le crime –, cette œuvre, un seul peut le défaire par amour ! Et sans l’ombre d’un jugement !
Hercule se lève et poursuit avec plus de force encore :
— N’ai-je pas chuté dans la plus sombre des vallées ? Là où l’homme perd tout espoir et toute lumière, là où l’on rêve d’ajourner son existence ! N’ai-je pas chuté dans la plus sombre des vallées pour remonter aussitôt, par le soutien d’un regard, d’une parole, d’un geste, par le feu d’une flamme rallumant monpropre foyer, n’ai-je pas remonté tous les paliers jusqu’au temple de la félicité ? L’amour n’est pas un sentiment, mais une force, la plus puissante qui soit, c’est une victoire absolue et définitive ! Une larme de Dieu tombée au fond des abîmes suffirait à illuminer les Enfers !
Radieux comme un prophète parlant au nom du Tout-Puissant, il balaye de la main tout ce qui pourrait s’opposer à sa conviction profonde :
— Le reste n’est que mensonges ! Tromperies ! Erreur et malheur !
Avant de se rasseoir et de conclure avec insolence :
— … Le reste n’est qu’hérésie.
Hercule reste silencieux un long instant, comme perdu dans ses pensées, avant de relever les yeux, et de dire :
— Me comprenez-vous ?
Don Juan a pris un tout autre visage.
Il sourit.
— Je crois, oui, répond-t-il.
— Alors, aidez-moi, reprend Hercule, les yeux brillants.
— Vous aider… Mais en quoi ? demande mon compagnon.
— Déjà, en gardant tous deux le secret sur cette
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