Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

commencement…

Marie la Rouge
    “Nous sommes en l’an 1610. Henri IV est mort, rue de la Ferronnerie, assassiné par le couteau de Ravaillac. Concini, le favori de la reine Marie de Médicis, reçoit tous les honneurs. Il n’est qu’un aventurier, arrivé en France avec les bagages de Sa Majesté. Mais il plaît. C’est un brillant cavalier. En quelques mois seulement, depuis le régicide, il gravit les marches sans effort et, véritable despote, pille le trésor, dresse des échafauds. La grande noblesse de France aimerait fort lui arranger le même sort qu’au feu roi, occis dans son carrosse à l’arrêt… Mais ce galant homme est tenu sous bonne escorte. Une armée de mercenaires italiens veille à sa protection, dissuadant les plus sanguins d’engager la partie. Pour le reste, l’or est versé à pleines mains. Cet or qui crée des amitiés soudaines, cet or qui endort les consciences.
    Mais quand les tyrans jugent et se servent, des insurgés sortent du rang. Dès le mois de mai, une femme prend les armes et se dresse contre celui qui, parti de rien, va devenir en quelques mois maréchal d’Ancre, premier gentilhomme de la Chambre, surintendant de la Maison du roi, lieutenant de Péronne, chevalier de l’ordre du Saint-Esprit. Ne pouvant atteindre la tête, elle s’en prend à l’entourage, elle attaque le corps de garde. À jour ouvrant, les amis de Concini sont déposés à la porte du Louvre, les pieds devant et la gorge ouverte. Coglione riposte. L’illustre financier promet la coquette somme de 100 000 livres à qui lui ramènera la dépouille de la désormais célèbre Marie la Rouge. Des avis de recherche, avec un portrait gravé, sont placardés à chaque coinde rue, ils font le tour de la France. La lie des bretteurs sur gages se lance à sa poursuite.
    Après plusieurs mois de luttes incessantes, Marie la Rouge se décide à quitter la Ville, elle passe les portes de Rouen un matin de septembre. Le lieu n’est pas choisi au hasard. Elle est originaire du pays de Caux. À peine arrivée, elle va se recueillir dans un cimetière. Elle prie et pleure sur les tombes jumelles de son cousin et de son frère, égorgés tous deux en début d’année par des affidés de Concini.
    Le jardin des trépassés n’attire pas que des pèlerins, il fait aussi venir les charognards. Des chasseurs de prime ont retrouvé sa trace et l’ont suivie jusque-là. Un combat s’engage. Elle est désarmée. La garce a du chien. Ses cheveux rouges excitent la convoitise de ces brutes, ils vont s’offrir une prime en nature, sur le vif, avant de faire justice et de toucher le pactole. Mais l’affaire tourne court. Le premier n’a pas eu le temps de baisser ses chausses qu’un intrus se présente. C’est le valet du diable , le fils du bourreau de la bonne ville de Rouen, il se nomme Germain Hackard de La Hache. Il est arrivé au cimetière avec une charrette et un mort, couché à l’arrière. La raison lui commande de rebrousser chemin, et de revenir plus tard, pour creuser son trou. Malgré tout il reste, face aux hommes, avec sa pioche dans une main. Les autres s’impatientent, ils vont le pousser dehors, à coups de pointes. Germain Hackard de La Hache ne s’est jamais battu. Il a dix-sept ans. Mais il est bien bâti. Et il sait manier son outil. Ce nouveau corps à corps est plus sanglant que le précédent. Profitant de la diversion, Marie la Rouge s’est libérée de ses liens, elle vient en renfort, et elle frappe à revers.
    Les chasseurs de prime sont tombés au bon endroit.
    Germain de La Hache n’a qu’à les tirer à bout de bras pour les abandonner dans le royaume des taupes , à côté de ce cadavre qu’il était chargé, par la prévôté, de loger dans sa dernière demeure.
    Ce bourreau et cette tête mise à prix que tout sépare ont deux choses en commun : ce sont des parias et le rouge est leur couleur. Celui-ci lui a sauvé la vie, celle-là a tout pour lui plaire. Ils vont s’aimer, à l’abri des regards.
    Neuf mois plus tard, un enfant vient au monde. Le leur. L’enfant de l’amour. De l’amour interdit. Marie la Rouge a misde l’argent de côté. La cachette est à quelques pas de son refuge. L’enfant dort. Elle le confie à Germain, le temps qu’elle revienne. C’est une question de minutes. Mais une fois dehors, un piège se referme sur elle. Elle est prise. Germain ne peut rien faire.
    Il reste avec son fils sans pouvoir se montrer.
    L’enfant se réveille.