Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Il pleure. Germain est perdu. La seule chose à faire, c’est de rentrer chez lui pour tout avouer à son père, Martin de La Hache. Il doit lui dire que depuis des mois, il aime une femme en secret ; que cette femme, aux yeux de la loi, est un bandit de grand chemin ; que cette femme lui a donné un fils, et qu’elle est enferrée depuis quelques heures dans une geôle de la prison de Rouen. Concini a donné pour elle des consignes précises. Ce qu’il veut, c’est qu’on lui rapporte un cadavre.
Mais pour le maître bourreau Martin de La Hache qui a le souffle coupé par toutes ces révélations, l’enfant pose problème.
Aidé par les circonstances, il prend une décision rapide. Dans le voisinage vit une jeune femme, de l’âge de son fils. Elle vient de faire une fausse couche. Personne, à la ville, n’est encore au courant. On a honte. Comme on voulait que la délivrance soit faite en secret, la mère de Germain, ancienne sage-femme, fut sollicitée.
Le fauteur a disparu aussitôt après l’accident . Cette jeune femme est plutôt jolie, mais elle est pauvre. Tout est conclu dans la nuit. De l’argent est remis aux parents. Un enfant est mort, un enfant est né. Un père est parti, un autre vient et prendra la main de la malheureuse. Oui, Germain épousera au plus vite cette jeune femme. Cela fera jaser. Certes. On les montrera du doigt. Ils auraient consommé leur amour avant les noces, mais tout bien considéré, c’est encore un moindre mal. Le meilleur moyen de réparer cette catastrophe.
Avant cette union, il reste une chose à faire.
Germain, en sa qualité de bourreau, peut aller rendre une dernière visite à la femme qui l’aime, à la mère de son fils, à la femme qu’il va perdre. Marie la Rouge accepte son sort. Son enfant vivra, cela seul compte désormais.
Cependant, elle veut mourir dignement.
Le parlement de Rouen s’est prononcé.
Par précaution, on juge plus prudent de l’exécuter sur place. Son transfert à Paris n’est pas chose souhaitable. On connaît lafemme… Elle a peut-être des complices. On pourrait organiser son évasion. Marie la Rouge, cependant, fait valoir ses droits. Elle tombe le masque et se présente à la justice sous son vrai nom : Louise de Vernon. De noble naissance, elle veut user de son dernier privilège : celui d’avoir la tête tranchée en place publique.
Germain a dix-huit ans. Désormais, il est en âge de tenir à deux mains cette épée de justice qu’une lignée de maîtres exécuteurs se transmet de père en fils depuis trois siècles.
— Je veux que ce soit toi qui le fasses, lui demande Marie la Rouge. Sois un homme, accomplis ton devoir sans trembler.
S’il reste, il faut en effet qu’il assume son rôle.
D’un coup de hache, Germain va donc renoncer à tout espoir, recevoir au visage le sang chaud de Marie la Rouge, et rendre à Paris, depuis l’échafaud de Rouen, le sommeil à ce bourreau de la France : monseigneur Concino Concini.
L’enfant sauvage
Dix ans plus tard, la France a changé de régime. La régence s’achève sur un coup de tonnerre. Louis XIII se fait homme, reprend le trône en chassant l’aventurier qui avait élu domicile au Palais-Royal : Concini est abattu par les hommes de Vitry, selon les ordres du roi. Le cadavre du tyran est tiré à la loterie. On se le dispute pièce à pièce et on laisse les chiens laper les restes. Concini meurt comme il a vécu : sans rien laisser après lui.
Les coffres sont vides, mais la France est grande. Richelieu revient d’exil, de Luçon où il fut mis à l’index pour avoir servi les Italiens à Paris. Après un lent retour en grâce, sa main de fer se fait sentir aux quatre coins du royaume. Son ombre est partout, sa police veille derrière chaque homme.
À Rouen, l’enfant de Germain Hackard de La Hache et de Marie la Rouge est presque un jeune homme, tant il est grand et robuste. Il se prénomme Jean. Il a un frère, né deux ans après lui. La remplaçante est une bonne mère, une épouse attentionnée. Les journées sont longues dans cette maison retranchée où personne ne vient, hormis le chevalier du guet.
Jean ne tient pas en place. Cette vie de reclus n’est pas pour lui. Dès le plus jeune âge, il s’évade. Il court à travers bois et déjoue les préjugés. Au début, personne ne veut avoir affaire au fils du tourmenteur, sa présence porte malheur. S’il vient à passer près de chez soi, on ferme sa porte et ses volets, on
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