Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
voici mes références.
Tréville regarde attentivement les documents. Les traits de son visage se referment. Ses sourcils se froncent. Je ne comprends pas.
— Monsieur, vos lettres sont fausses.
— Impossible…
— Je ne cherche même pas à les inspecter davantage. Cela saute aux yeux. Vous avez montré du courage en venant jusqu’ici et en allant tout au bout de votre démarche. Mais vous avez fait preuve d’inconscience et de légèreté. Enfin, vous trichez. Cette imposture est impardonnable. Je pourrais vous faire arrêter. Vous savez comment sont punis les faussaires : bouillis dans un chaudron. Je vous épargne cette horrible fin et je vous rends votre liberté. Partez. Je ne puis rien de plus pour vous.
Fer contre fer, frère contre frère…
Tout s’effondre, comme un château de sable, à l’heure du succès.
Humilié, vaincu, trahi, je rejoins l’escalier.
Triste débâcle. Ceux qui m’ont vu triompher assistent à mon départ, sans clairon ni cadence. Ces portes que j’avais ouvertes ont laissé passer le vent de la honte. Tous ont entendu le verdict de Tréville. Je suis un imposteur. Je regarde droit devant moi, et cette fois, je ne presse pas mon allure. Ma sortie ne sera pas unefuite, je veux l’entreprendre dignement. Je ne croise aucun regard, mais je sens s’abattre celui des autres, rangés de part et d’autre, je n’entends aucun sarcasme, mais ce silence est lourd de reproches.
Pourtant, toute mêlée recrache un dissident. Un mousquetaire ose essuyer la désapprobation des siens, se séparer du corps, geste autrement téméraire en ces circonstances solennelles que s’il avait fallu, dans ce camp de trompe-la-mort, se porter en avant pour recevoir en tête le grêlon des balles. Oui, en contrebas, un mousquetaire sort des lignes, fait un pas en avant, se découvre et me salue. D’autres l’imitent. Mériter cet hommage dans l’opprobre, c’est voir un ange descendre du ciel quand les flammes vous dévorent. Je suis ému aux larmes.
Mais l’émotion est passagère, il faut redescendre sur terre.
Alors que je renvoie son salut à ces messieurs, je continue de marcher sans regarder devant moi. Un pied mis en travers de ma route manque de me faire chuter plus bas. J’ai trébuché dans l’obstacle. Qui m’a provoqué ?
Je mets la main à la garde de ma rapière, je suis prêt à tirer le sang sur-le-champ, à jeter la discorde dans ce lieu fraternel, à diviser ce régiment. Mais ma main se rabaisse. L’insulte ou le mot vengeur qui montait à mes lèvres expire avant de jaillir. Ce mousquetaire qui me provoque, je le reconnais, c’est mon arbitre . Le gentilhomme qui accepta de faire tourner son denier dans les airs, celui qui m’obtint le gain, la récompense, celui qui fut prêt, pour moi qui ne lui étais rien, à défier le fraudeur en combat singulier.
Mais cet arbitre , une fois encore, sort de sa neutralité. Il prend parti.
Et cette fois, son parti n’est plus le mien.
Il vient de comprendre à quel jeu je l’ai mêlé. Il réalise qu’il a défié un voleur pour soutenir un tricheur. Lui aussi se sent blessé. Il me toise avec condescendance.
— Votre nom n’avait peut-être pas d’éclat, mais vous venez de lui donner de la couleur, en le faisant rougir !
Ces mots, le ton avec lequel ils sont prononcés, me blessent profondément. Je réagis sur le vif, fou d’orgueil et de colère.
— Regardez-nous bien ! Qu’est-ce qui nous différencie ? Une particule ? Des titres et des terres, des biens tombés du ciel ?
— Une ligne de conduite et quelques siècles de plus.
— … Béquilles de vieillard, de la poussière et des ruines !
— Ces ruines sont immortelles et vous n’êtes que du vent.
— Un vent de colère ! Quant à mon nom, vous dites vrai, il voit rouge. Je le signerai en lettres de sang ! Je lui donnerai naissance ! Je le ferai monter marche par marche… En effet, nos chemins se croisent, mon histoire commence quand la vôtre s’achève.
— Que d’insolence dans vos paroles !
— Mais c’est à mes actes que l’on me jugera !
Mon interlocuteur se tourne vers Bastigasse, le mousquetaire que me fit affronter Tréville et le prend à partie :
— Que n’avez-vous corrigé ce gentilhomme de piperie ! Il fallait le renvoyer à sa place, et le rosser à coups de canne comme le premier des valets !
Je lève ma main pour gifler le gentilhomme, mais il retient mon poignet.
— Que voulez-vous ? me demande-t-il
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