Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
froidement.
— Un duel.
— Un duel ? La mort ? Vous êtes bien présomptueux. Fer contre fer, frère contre frère, c’est un honneur que je ne puis vous accorder. Vous êtes encore mon inférieur, ne l’oubliez pas.
— Nous nous retrouverons, monsieur, et cette fois-là, vous vous montrerez moins dédaigneux, je vous en fais le serment.
Sans avoir la possibilité de me battre, je me retire, au milieu du silence et de la stupéfaction générale.
Tous les chemins de l’homme perdu mènent à la taverne
Hors de question de rentrer, là-bas, chez Henri, près de Jeanne, de tout dire.
Je ne crois plus à rien.
Je m’abandonne, je me perds.
Des larmes de dépit me brûlent les joues, une rage inconnue me ronge de l’intérieur.
Ayant quelques sous sur moi, je décide d’aller les boire.
Tout le jour durant, je reste attablé dans une sombre taverne, buvant pinte sur chopine. Je finis par payer et titubant, je gagne la rue.
La nuit venue, j’ai dormi dehors comme un chien. Un chien errant. À l’aube, je me remets debout et je reste des heures à marcher, à tourner en rond. Je n’ai plus les moyens de renouveler mes excès de la veille, mais j’ai encore soif. Soif d’oubli. Je passe la porte d’un nouveau cabaret. Puisque plus rien n’a d’importance à présent, je peux bien m’en débarrasser. Je suis prêt à troquer mon médaillon pour une barrique de vin. À changer l’or et la prière pour un lit de misères.
Je n’ai qu’à montrer l’objet… Je paierai avec ça , dis-je à l’aubergiste, pour qu’il ne regarde plus de travers ma triste mine, mais qu’il me traite comme un prince ; quand bien même ce prince fût-il un prince déchu, chassé de son trône d’argile, avant même d’avoir connu son heure de gloire. Si je veux boire encore, jusqu’à la mort, il me suffit de lever le doigt. Un geste suffit. Je m’endors à même la table, comme un soudard.
Je suis réveillé par un sceau d’eau froide.
Devant moi se tient Henri. Comment est-il arrivé là ?
— Jeanne s’inquiétait de ne pas te voir revenir, dit-il en s’asseyant face à moi, elle m’a tout raconté. J’ai été moi-même chez Tréville qui m’a expliqué le reste. Je t’ai cherché en tous lieux. Je sais où va un homme qui s’égare : au fond du puits. Un puits de sang, un puits de vin. Il veut se noyer dans l’ombre. J’ai fait le tour des tavernes et j’ai fini par te mettre la main dessus. C’est vrai que tu es tombé bien bas. Ainsi, tu l’aimes et tu ne m’avais rien dit.
Que répondre ? Je reste bouche bée.
— Et tu crois, reprend-t-il, que je n’avais pas deviné ? Qu’un père n’a pas des yeux pour voir ces choses-là ? Un cœur de chair pour sentir que sa fille lui échappe ? Veux-tu la vérité ? En te proposant d’être mousquetaire, je pensais à toi, je pensais à moi, et j’espérais aussi que tu t’éloignerais d’elle. Un père est jaloux comme un mari. Il veut tout garder, comme toi qui veux tout avoir. Et plus il veut retenir la vie, empêcher l’inévitable, plus il souffre, plus il se trompe. Donc, après t’avoir élevé, aimé, je voulais t’écarter. Je jugeais qu’il était temps pour toi de prendre ton envol. Tout devait rentrer dans l’ordre. Au lieu de quoi, tu songes non seulement à braver la mort sous les drapeaux, mais encore à l’épouser. Et nous voilà pris dans un terrible dilemme. Bon. Maistout cela n’est pas si dramatique. Tu en auras toujours plus que moi. Tu n’auras pas la guerre, mais tu l’as, elle. Elle t’attend et je consens à te la donner. Ainsi, au fond, je vous garde tous les deux. Elle ma fille, toi mon fils. Moi, je n’ai plus de droit de me battre… Cette grâce que j’espérais, cette chimère à laquelle je me raccrochais, je ne la retrouverai jamais. J’ai cru à mon retour, mais on m’a trompé, moi aussi. Et puis, d’ailleurs, je suis déjà trop vieux pour gagner ma vie à la fortune des armes. Le roi veut des hommes de vingt ans, ayant du vif-argent dans les veines. Voilà beau temps que ma femme a rejoint le séjour des âmes. Vous êtes tout ce qu’il me reste, l’essentiel, et le reste n’a aucune importance. Le reste, ce ne sont que des souffrances et des illusions. Aubergiste ! dit-il en versant de l’argent sur la table, je paye la note et les dégâts.
Henri se redresse.
Je suis prêt à le suivre.
De Charybde en Scylla
Je me lève, tant bien que mal. Mais avant de faire le
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