Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
résoudre.
Elle laisse son jeune amant courir à son devoir.
Don Ruis arrive à cet instant.
Lui non plus n’est pas insensible au charme de cette femme. Il veut la faire danser. Il lui tend la main.
Gabriela accepte l’invitation.
Mais en voyant cette main tendue, elle se glace soudain.
Car cette main est marquée.
Cette main, c’est celle d’un assassin.
Gabriela, elle aussi, est prisonnière de son devoir.
Car cette main, c’est bien celle du meurtrier de son père.
Cet homme qui lui tient compagnie et lui sert d’escorte, c’est lui qui recueillit jadis les dernières paroles d’Oukatchac. Il finit par retrouver l’enfant qui avait échappé au massacre. L’enfant était alors devenue une femme. Une femme élevée dans la piété et la rigueur. Mais sous l’écorce, le sang faisait semblant de dormir. Il ne demandait qu’à être réveillé.
Cet homme qui adopta lui aussi, de force, les manières des conquérants, changea son nom païen pour un prénom de baptême, Roberto. Roberto, à son tour, instruisit Gabriela, il lui rappela les dernières volontés de son père : l’esprit du mort réclamait vengeance.
Il faut agir avant le retour de son bien-aimé.
La danse achevée, don Ruis demande à Gabriela de s’asseoir. Il veut sans doute, à son tour, exposer ses sentiments. Il est marié, il est considéré, mais cela n’a plus d’importance. Cette femme ne lui a pas seulement rendu la santé, elle l’a délivré de son tourment. Il retrouve toute sa jeunesse, sa jeunesse d’avant ses fautes et ses erreurs… Puissance de l’amour.
— J’ai soif mon ami, dit Gabriela. Iriez-vous nous chercher à boire ?
Don Ruis s’imagine trinquer à sa renaissance.
Il obéit et il revient.
Gabriela porte avec elle, à sa ceinture, sa médecine. La guérison est une question de dosage. Quelques quantités de plus et l’élixir devient un poison, le baume une fournaise ardente. Gabriela va divertir son nouveau prétendant, et distiller son remède dans le breuvage. Don Ruis vide sa coupe jusqu’à la dernière goutte. La passion brûle le corps, elle donne soif.
— Souvenez-vous d’Oukatchac, dit Gabriela en se levant et en tendant le doigt pour désigner le coupable.
Oukatchac, ce nom est un coup de poignard.
Don Ruis lâche son verre.
Il sent une nouvelle chaleur l’envahir. Mais cette fois, ce n’est plus le désir, ce feu dévorateur vient le consumer pour le réduire en cendres.
— Il vous reste une heure avant de rejoindre votre dernière demeure. Vous n’aurez plus la force de bouger, mais vous avez encore celle de parler. Délivrez-vous, et puisse Dieu vous accorder son pardon.
Le confesseur n’est pas loin.
Il a vu, il a entendu.
Francisco était là, il observait, cette femme lui a jeté un sort.
Gabriela le voit arriver, sortir de l’ombre.
— Je me livre, dit-elle, j’ai tué cet homme et moi aussi je suis prête à mourir.
Le passeur de relais
Le poète se tait soudain.
Nous sommes suspendus à ses lèvres, nous attendons la suite.
Personne n’ose ouvrir la bouche. Fortunio, lui aussi, a cessé de jouer. Il n’est, en l’immédiat, qu’un accompagnateur. Dans ce silence étonnant, le bruit environnant, celui de la rue en mouvement, nous revient aux oreilles.
— Voilà, messieurs, dit le poète François de Lyon en tirant sur sa pipe.
— Comment ? demande Hercule. Vous arrêtez là ?
— Je me retire à temps, répond l’orateur en se levant.
— Mais, ma parole, s’inquiète Molière, vous nous abandonnez en plein drame !
— En pleine confiance, sourit le narrateur qui prend son bagage – ses livres posés sur la table.
Hercule croit comprendre :
— Je vois. Il vous manque la fin de l’histoire.
— Je l’ai, répond le poète d’un ton rassurant, mais je vous l’offre. Soyez la relève. Quelque chose me dit que ma fin est proche, ce sera mon cadeau d’adieu.
Molière se redresse, il fait face à notre mystérieux donateur.
— Mais monsieur, vous n’êtes pas vieux, dit-il innocemment.
Tout le visage du poète n’est que sourire.
— Mais j’ai bien vécu. Je partirai sans regret.
À son tour, Hercule se lève.
— Pourrions-nous vous retrouver ?
— Vous y tenez vraiment ?
— Doublement. D’abord, nous pourrions échouer…
— Il suffisait de forcer l’entrée. Elle est dégagée, vous rentrerez.
— Cette certitude nous honore. Dans ce cas, nous aimerions fort vous livrer notre dénouement.
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