Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
sa main, et le troisième avait fui.
— Comment vous remercier, monsieur ?
— J’étais assis à la table voisine de ces traîtres, avant votre arrivée. Je buvais mon vin, quand ils arrangeaient leurs plans, à haute voix. Sans honte, sans pudeur. J’ai patiemment attendu de voir qui allait tomber dans leurs filets. Je juge un homme à son visage autant qu’à ses actes. Vous n’avez pas vingt ans, et vous n’avez pas tremblé ni crié en constatant la perfidie de votre ennemi. J’ai aimé cela. Adieu.
Quand Diego veut demander le nom de ce combattant, lui serrer la main, celui-ci est déjà loin.
La fête est finie
Le duelliste victorieux rentre chez lui, pour n’y plus revenir, pour chercher l’élue de son cœur, celle qui partagera ses jours et ses nuits, mais la fête est finie. On ne rit plus, on ne danse plus, la musique a fait place au silence.
Les invités sont partis. La place est déserte. Des cierges brillent dans la nuit, les lanternes sont éteintes, les feux de joie ne sont plus que fumée. Les vapeurs de l’encens embrument l’atmosphère.
La mère de Diego se jette dans les bras de son fils.
Elle lui explique ce qu’elle sait.
Cette femme, Gabriela, a tué don Ruis, elle l’a empoisonné.
Diego refuse d’y croire. C’est impossible.
Mon père est mort et elle l’a tué.
Pour la mère de Diego, c’est le moment de parler.
Elle imagine pouvoir apaiser un peu la douleur de son fils en lui avouant la vérité.
— Don Ruis n’était pas ton père. Ton père s’appelait Philippe.
Philippe… Diego a bien entendu parler de cet homme, cet ami de don Ruis mort au Nouveau Monde. La mère de Diego ignore ce qui s’est passé là-bas. Elle ne sait pas qu’elle a épousé l’assassin de son promis. Elle ne peut donc l’apprendre à son fils.
Diego croit sentir la Terre s’ouvrir sous ses pieds.
Ses certitudes basculent, ses rêves s’évanouissent. La nuit est partout.
— Mais pourquoi cette femme l’aurait-elle tué ?
— Me voilà vengée , a-t-elle simplement dit quand elle est passée devant moi, captive, entre des hommes en armes, pour être conduite en prison.
— Se venger ? Mais de quoi ? De quel affront, de quel mal ?
— Je l’ignore.
Tu m’aideras
Pour l’heure, Diego n’en apprendra pas davantage.
Il demande à rester seul.
Sa mère le quitte.
Peu après, Francisco apparaît.
Il sait beaucoup de choses, maintenant.
Car il a reçu la confession entière du mourant.
Don Ruis lui a raconté toute l’histoire, il a reconnu tous ses crimes. Francisco sait également de qui Diego est le fils. Il sait que don Ruis a été puni par la main de la justice. Une si belle main, si blanche et si froide.
— Je ne veux pas croire, dit Diego à son meilleur ami, que cette femme, que Gabriela soit coupable !
Au lieu de rompre le secret de la confession, comme il devrait le faire s’il écoutait sa conscience, Francisco se refuse à soulager son ami. Il garde le silence, il retient son secret. Il ment.
— Elle est pourtant vouée au diable, dit-il. Elle a assumé son acte. C’est une sorcière et je crois qu’elle t’a envoûté. Elle sera châtiée pour son meurtre. Les juges la mèneront à l’échafaud, j’y veillerai personnellement.
— Non ! dit Diego avec rage. Non, je dois la délivrer, je l’aime, qu’importe l’accusation. Moi aussi je viens de tuer !
— Mais elle a empoisonné ton père !
— Don Ruis m’a élevé, mais il n’était pas mon père.
Francisco dissimule au mieux son trouble. Diego n’est pas censé savoir.
— J’ignore de quoi tu parles, mais quoi qu’il en soit, regarde-toi, la passion te fait perdre la raison.
— Tu m’aideras. Tu m’aideras à la sortir de là. Puisque tu es prêtre, tu peux entendre la prisonnière en confession. Aide-nous, tu es mon ami. J’ai un plan. Il peut réussir. Il suffira de convaincre Gabriela de se faire passer pour morte. Tu diras à ses geôliers que tu la trouvas sans vie, en entrant dans sa cellule. Qu’elle venait de s’étrangler… pour échapper aux supplices des flammes. Puisque tu portes la croix, tu pourras demander à la conduire toi-même sur un brasier de fortune, pour brûler sa chair.
Diego tente par tous moyens de convaincre son ami.
Francisco, de son côté, raisonne et détruit par la logique l’argumentation de son interlocuteur.
Mais Diego ne veut rien entendre.
Il est décidé à tout essayer.
Francisco finit par se laisser convaincre.
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