Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Par amitié, il agira contre son devoir, il se fera complice d’un désespéré.
— Attends-moi demain, au cimetière, je serai là et la morte reprendra vie. Il faudra fuir, et ne jamais revenir.
— De toute façon, j’y étais préparé. Celui que j’ai vaincu en duel s’est présenté avant de mourir. Il s’agit d’un Grand. Des témoins, ce matin, m’ont entendu, sur le port, le défier en combat singulier. Mon nom est celui d’un conquistador, d’un aventurier qui se fit marchand, vendeur d’épices et de draps flamands. Je ne suis rien dans la balance, la famille de mon adversaire exigera ma tête, et personne ne refusera de la leur donner. Ici, mon avenir s’arrête devant la hache du bourreau. C’est ailleurs que je dois faire mes preuves.
Diego peut s’en aller.
Il s’imagine qu’un nouveau miracle va se produire, que son amour sera plus fort que tout.
Le lendemain, il vient au rendez-vous.
Mais ce n’est pas Francisco qui vient le rejoindre avec sa bien-aimée.
Ces hommes qui l’encerclent, ce sont des gardes civils venus l’arrêter.
Francisco l’a trahi.
Loin de lui venir en aide, il l’a dénoncé.
Pourquoi ? Diego n’oppose aucune résistance. Ce jeune homme que les gardes conduisent entre quatre murs n’est plus qu’un spectre, un être brisé autour de qui tout s’est effondré en moins d’un jour.
La main de Dieu
Pendant ce temps, Francisco est allé rendre visite à la prisonnière. Il a trahi son meilleur ami pour le tenir à l’écart, quitte à le conduire à la mort. Il a bien essayé de le pousser à partir, mais Diego s’est entêté. Il a fait son choix et son choix l’a perdu. Voilà ce que se dit Francisco. Il rentre dans la cellule.
Gabriela l’écoute.
C’est la troisième fois, depuis son arrivée, qu’un homme se met à ses genoux.
Un seul a compté, un seul a pris son cœur.
Mais celui qu’elle aime, elle ne pourra jamais être à lui. Maintenant Gabriela n’espère qu’une chose : en finir au plus vite.
— Vous m’avez capturé, je suis votre prisonnier, j’ai essayé de me débattre, de me délivrer de l’emprise que vous exercez sur moi, mais en vain. Votre image revient me hanter.
Francisco se jette aux pieds de la condamnée. Il la supplie de se laisser libérer. Il assure pouvoir la sortir de cette geôle, il a entendu la confession de don Ruis, il sait tout. Cet homme méritait qu’on le punisse.
— Vous n’avez été que la main de Dieu, dit-il. Moi seul le sais, moi seul peux comprendre. Laissez-moi désormais être à mon tour son instrument. Dieu ne veut pas d’autres sacrifices, vous êtes précieuse à ses yeux… et vous êtes tout pour moi. Pour vous, je suis prêt à brûler en enfer !
Mais la réponse de Gabriela est sans appel.
— Le cœur de l’homme que j’aime saigne par ma faute. J’ai obéi à la voix de mon père, mais qu’on me laisse pleurer la mort de mon amour. Vous êtes un prêtre, votre place est dans une église. À genoux sur les dalles. Laissez-moi tranquille, je veux souffrir en paix.
Là encore, Francisco pourrait abréger une part de ses souffrances, avouer la vérité, dire à cette femme éplorée que l’homme qu’elle a tué a également assassiné le véritable père de son amant, lui dire : Vos deux âmes sont unies par le sang, mais Francisco se tait. Il se mure en lui-même.
Puisque cette femme ne peut être à lui, elle brûlera. Et il assistera à son trépas.
Dieu le protège. Dieu refuse de voir se perdre l’un de ses serviteurs. Cet amour qu’on lui refuse, c’est un signe. Ce que cette femme ne veut avoir, Dieu le retrouvera tout entier : un dévouement absolu, une fidélité sans bornes.
Chambre commune
Diego est donc mis aux fers.
Les prisons débordent.
On manque de place.
Il faut partager sa chambre.
…Diego voit une forme bouger dans l’ombre.
Cette forme n’a plus guère d’apparence humaine. Il croit apercevoir dans cette chose qui sent la pourriture, qui respire avec difficulté et qui reste repliée comme une bête aux abois, le reflet charnel de son âme : son âme qui ne fait que survivre, son âme qui ne fait que souffrir.
— Comment t’appelles-tu ? demande cet abreuvoir à mouches à son colocataire.
— Don Diego d’Esquobal.
— D’Esquobal, répond la forme qui s’agite soudain, ouvre ses yeux, tire sur ses chaînes, tend les mains, comme si elles voulaient étrangler une ombre devant elles. Les mains se décrispent.
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