Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Vous avez retenu notre attention, séduit nos cœurs, la victoire ne serait complète que si nous parvenions à obtenir vos applaudissements.
—C’est en effet de bonne guerre. Eh bien, voici mon adresse, dit François de Lyon en tendant le bras et en pointant la rue d’en face. Je loge ici même, au troisième étage.
— Quelle chambre ? demande Hercule.
— Celle dont la porte restera ouverte.
Le poète va partir en nous saluant, mais Hercule ramasse précipitamment les pièces dispersées sur la table, pour les offrir à notre visiteur.
— Attendez, dit-il, vous partez sans être payé.
François de Lyon n’est pas impatient.
— Nous verrons cela quand votre canevas sera bouclé. À la joie de vous revoir, messieurs.
Les successeurs
Le poète avait raison. La voie est toute tracée. Nous n’avons plus qu’à la suivre. Molière n’attend pas. Libérée de ce poids qui la coiffait de plomb, sa plume s’envole. Ces paroles qui nous ont été offertes doivent être gravées dans le marbre. Remis d’aplomb, nous retrouvons l’appétit.
Molière rédige, nous commandons un repas.
Nous poussons les bouteilles, nous accueillons les plats, et dès que notre secrétaire nous en donne l’autorisation, nous reprenons la direction du récit.
Cette fois, les idées fusent de toutes parts. Chacun a son mot à dire. Nous sommes bien revenus sous le ciel de Cadix, et il s’élève au-dessus de nos têtes une véritable salve d’artillerie. Après le silence, c’est le brouhaha, le débit sans frein.
Nous devons faire le tri, choisir, trancher, ordonner. Hercule et Molière s’en chargent, tenant la barre à quatre mains.
Deux heures plus tard, nous sommes prêts.
Dignes, fiers, remplis d’excitation, nous quittons Le Gai Passant , un cahier plein, un panier de bouteilles à la main. Il faut arroser ce succès prémédité. Pour un instant d’éternité, nous avons oublié, Amadéor et moi-même, les querelles et les enjeux, les ennemis tapis aux environs et la discorde au travail. Nous avons goûté à l’eau de jouvence, à la grande fraternité, à la complicité des âmes, nous avons touché à la perfection – le bonheur d’œuvrer à quelque chose de beau et de grand –, nous avons monté les degrés sans effort, comme une plume poussée dans les airs par un souffle tranquille.
En effet, la porte est entrebâillée.
Le maître est assis à son bureau, près d’une fenêtre grande ouverte.
C’est une chambre modeste, meublée de peu. Elle n’est pas grande, il n’y a qu’un lit et une commode. Nous sommes à l’étroit, mais nous sommes heureux. Nous ne manquons de rien.
Le vin est débouché.
Le vin est servi.
C’est Hercule qui prend la parole en acceptant ce manuscrit que lui tend Molière. Il va donc reprendre l’histoire là où l’initiateur l’avait abandonnée, avec humilité. »
Un inconnu favorise la victoire
D’Artagnan songe à écourter ce récit, pour revenir au plus tôt aux intrigues politiques touchant aux affaires du royaume, mais le roi Louis XIV ne l’entend pas de cette oreille. Il est formel : il veut la suite. Il veut tout savoir. L’essentiel et le reste.
Il veut prendre place au sein de ce cercle d’amis, et retarder le plus longtemps l’heure de la séparation, quand chacun devra reprendre sa route.
Laissons donc la parole à Hercule, cette parole commune que le chevalier d’Artagnan fait revivre avec fidélité.
« Diego revient victorieux.
Il est vivant et l’autre est tombé, foudroyé.
Pourtant, les choses ne se sont pas déroulées simplement.
Au mépris des règles, l’adversaire de Diego ne vint pas seul, comme convenu, pour le rendez-vous des hommes, mais avec trois compagnons, dissimulés dans l’ombre, une ombre noire et profonde dont ils ne sortirent qu’au dernier instant, celui du face-à-face, pour encercler l’innocent, fermer sa retraite. Diego aurait dû mourir, en pliant sous le poids du nombre. Mais la Providence lui envoya un allié. Voyant cette jeune proie prise à l’étroit entre quatre lames tournées contre lui, un témoin lointain s’approcha de la scène du crime. Il se rangea aux côtés du faible et lui offrit le précieux soutien de sa lourde slavonne. Une longue rapière d’homme de guerre qui ne tarda pas à se couvrir de sang, à déchirer les pourpoints.
Quand Diego eut vaincu son adversaire, son partenaire avait achevé déjà le reste de la besogne. Deux hommes étaient morts de
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