Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
s’échapper. Ruis le perd de vue, son ennemi disparaît dans la forêt. Lui aussi est blessé à la main, d’une entaille profonde qui laissera une cicatrice.
Ruis hésite. Il songe à pister Oukatchac. Mais bien vite il renonce. Mieux vaut sortir de là, marquer son passage et revenir plus tard, pour arracher le plus d’or possible.
Ce qu’il emporte suffira à le rendre riche, considéré, envié, admiré, aimé, mais s’il revient, il aura bien plus encore : tout l’or du monde.
Pour l’heure, il se remplit les poches du mieux qu’il peut et il quitte son Eldorado.
Quand la nuit tombe, quelques heures plus tard, l’Espagnol commence à prendre conscience de ce qu’il vient de faire : son action était insensée et son meilleur ami est mort de sa propre main. Mais il est trop tard pour avoir des regrets. Il faut aller de l’avant.
Don Ruis marque son passage en entaillant les arbres d’une encoche indiquant la route à suivre, mais la route ne mène qu’à d’autres arbres. Ici, tout se ressemble. Partout devant lui, à perte de vue, s’étend un mur de verdure. Il est prisonnier de la nature, perdu au beau milieu d’une forêt vierge comme un homme à la mer au cœur de l’océan. Il doit bien y avoir un chemin, une ligne directrice dans ce labyrinthe… Mais où… ? La fatigue vient avec le découragement, puis le désespoir. Don Ruis songe à se laisser mourir. Voilà un long moment qu’il a renoncé à baliser sa route. Enfin, alors qu’il est sur le point de s’évanouir, don Ruis parvient à sortir de la jungle, à approcher un village, une population indigène. Il s’effondre et perd connaissance.
Quand il se réveille, il réalise où il est tombé.
Ce village est le village du chef rival d’Oukatchac.
Et ce rival ne sait comment mener sa guerre.
Il sait que le village d’Oukatchac est bien défendu : par des hommes de fer.
Ruis saisit l’opportunité.
Il parvient à s’expliquer :
— Ces hommes, ce sont les miens, payez-moi avec de l’or, et je les ferai tomber dans un piège, dans une embuscade que vous leur tendrez.
Le chef accepte, mais il se montre plus prudent qu’Oukatchac, l’or sera donné après la victoire.
De son côté, Oukatchac n’a pu parvenir jusqu’à son village.
Il s’est arrêté à quelques lieux de chez lui, pour mourir entre les bras d’un jeune homme d’une tribu amie. Il a cependant eu la force, avant d’expirer, de raconter son histoire à celui qui lui porta secours, de nommer son assassin, en disant :
— L’homme qui m’a tué a été marqué à la main, cette cicatrice qu’il portera signe son crime. Je t’en conjure, retrouve les miens, qu’ils me vengent.
Pour le chef ennemi d’Oukatchac, la victoire est éclatante. Grâce à la traîtrise de Ruis Vasco, la troupe espagnole qui protégeait le village d’Oukatchac marche à la mort. Les indigènes et les mercenaires meurent les uns après les autres.
Seule une enfant, la fille d’Oukatchac, parvient à échapper au massacre.
Mais sa liberté est de courte durée.
Faite prisonnière par des marchands de chair humaine, elle sera rachetée et recueillie par un père jésuite, qui rendra son âme à Dieu, en la baptisant et en la mettant à genoux devant l’image du crucifié.
Dix-huit ans plus tard
Dix-huit ans plus tard, Ruis Vasco est devenu don Esquobal.
Il a épousé Esperanza peu de temps après son retour.
Comment est-il revenu ? En se faisant passer pour un prêtre espagnol. L’habit protégea son butin, entassé dans des coffres. On ne fouille pas les affaires d’un homme d’église venu prêcher la bonne parole. La chance sourit parfois aux criminels. Ruis monta à bord d’un galion portugais revenant au pays. Il allait profiter du voyage.
Une fois chez lui, il tâcha d’étouffer ses remords, d’oublier le pire.
La première chose qu’il fit, ce fut d’aller trouver Esperanza.
Il avait une mauvaise nouvelle à lui apprendre.
Philippe était mort, Philippe ne reviendrait plus.
Esperanza pleura sur son sort. Comment allait-elle élever seule cet enfant que son amant lui avait donné la veille de son départ ? Esperanza attendait avec impatience le retour du père pour lui annoncer la bonne nouvelle.
— Philippe n’est plus, dit Ruis, mais je suis là et je reviens fortuné.
Bref, il s’offrait de remplacer le disparu, d’épouser cette femme, et de faire passer cet enfant, né depuis peu, pour le sien. Cependant, mieux valait
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