Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
yeux. Il peut alors donner son verdict :
— Divin. Tout simplement divin… Chers messieurs, dit-il en revenant vers l’auditoire qui se tient debout contre le mur, ou assis à même le sol, en toute franchise, je n’aurais pas mieux fait. C’est d’ailleurs chose étonnante, mais cela l’est-il vraiment ? À quelques détails près, tout ce à quoi j’avais songé moi-même.
— Vraiment ? demande Hercule, en tressaillant.
— Mais oui, répond avec sérieux notre sauveur. L’inspiration n’a ni toit ni loi, son souffle passe entre les êtres.
Hercule ne cache plus sa joie.
Il a obtenu plus qu’il ne souhaitait :
— Voilà, à coup sûr, une histoire qui fera parler d’elle ! Et d’un nouveau genre !
Molière ne veut pas se montrer sceptique, mais il aperçoit les obstacles.
— Il y aura pourtant bien des difficultés à maîtriser. Ce n’est pas un drame, mais un roman que cette histoire ! Et si la scène représente le monde, elle reste bien plate et bien étroite, comment y faire tenir tout ce foisonnement ?
Le poète François de Lyon pointe quelques feuillets sur son bureau, en disant :
— J’ai déjà pris quelques notes.
— Ainsi, vous ne renoncez plus ? demande Hercule, avec enthousiasme.
— … Mais je vous les destine, dit François de Lyon, en s’écartant de sa table de travail, comme s’il cédait sa place.
Nous nous regardons et nous partageons la même pensée. C’est Hercule, encore une fois, qui se charge de l’exprimer :
— Je crois que nous sommes tous d’accord. Ce travail vous revient. Vous l’avez sorti de vos entrailles.
— Mais vous avez achevé la délivrance, nuance notre hôte.
— Le plus dur était fait, dit Hercule en tendant le manuscrit du canevas. Acceptez-vous de le signer ? De le découper, scène par scène, de lui donner chair et sang ?
— Mais vous le jouerez ? demande François de Lyon. C’est sa condition.
— C’est entendu dit Hercule, et bien volontiers.
« Je me suis approché du bureau par curiosité, dit d’Artagnan. En vérité, François de Lyon n’avait pas pris de notes. Il avait déjà commencé à rédiger la pièce. Les trois premières scènes étaient écrites, d’une main ferme, et ne demandaient qu’à être jouées.
Une femme jette le trouble dans l’assemblée des hommes
François de Lyon, chargé de mission, accepte de bon cœur ce premier versement qui lui revient.
— Mais au juste, Hercule, demande Molière avant de partir, comment donc se nomme l’heureuse destinatrice de cette pièce ? Qui devons-nous remercier ? Et par deux fois ! D’abord, pour t’avoir rendu l’envie d’aimer, ensuite pour nous avoir insufflé le désir de créer ?
Cette fois, le silence est d’une tout autre nature. Il n’est plus léger, aérien, mais au contraire dramatique. Hercule veut pourtant garder bon air, et montrer qu’il se moque des réactions qu’il pourrait déclencher en répondant à cette simple question.
— Elle a le plus beau des noms, puisque c’est la plus belle des femmes : Desdémone.
C’est Fortunio qui réagit le premier, il ne peut se contenir :
— Desdémone ! Hélas, cette pièce est donc bien une tragédie !
— Que voulez-vous dire ? demande Molière, dans l’ignorance du scandale qui entoure et poursuit cette Italienne, comme un parfum délétère.
— C’est bien simple, cette femme est une empoisonneuse, elle dévore ses amants ! lâche le troubadour.
— Tais-toi, Fortunio ! ordonne don Juan de Tolède, avec l’autorité du maître.
— Une empoisonneuse ? demande Molière. Est-ce vrai ?
— Cette criminelle, comme vous la nommez, répond Hercule, m’a ramené à la vie ! Gardez-vous de porter un jugement sur elle. Je suis désormais son défenseur, qui l’attaque me porte atteinte, est-ce bien clair ?
Hercule, à son tour, vient d’imposer ses volontés. Personne ne relèvera le défi.
— Diable ! dit Molière. En effet, la réalité rejoint la fiction…
— Vous ne croyez pas si bien dire, s’exclame François de Lyon. Rien ne vient de rien. Cette femme est italienne, n’est-ce pas ? Elle roule carrosse, et elle manqua d’être déchirée par la foule, ce jour même où Le Cid en personne, sorti du ventre du peuple, allait enflammer la tribune, lui offrir un nouveau modèle de bravoure ?
— Ainsi, vous étiez là ? demande Molière. À l’hôtel de Bourgogne ?
— Je venais d’arriver. Et je vis que l’on désignait avec précaution
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