Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
Un rire sinistre sort de cette bouche qui n’est qu’un gouffre. D’Esquobal… tu veux dire Vasco. C’est là ton vrai nom.
La face monstrueuse s’avance dans les ténèbres, les yeux se plissent, un rictus effrayant apparaît. La forme dévisage le jeune homme, puis elle dit :
— Tu dois être son fils, le fils de Ruis Vasco. Et tu payes aujourd’hui pour tous ses crimes ! La justice est aveugle.
Des crimes… Diego veut savoir.
— Quels crimes ? Que savez-vous ? Cet homme m’a élevé sous son toit, mais il n’était pas mon père. Il est mort hier soir.
— Je l’ignorais. Le voilà donc chez le diable.
— Mon père se nommait Philippe.
— Philippe ! Philippe Cortomar ! Ah, lui aussi, je l’ai bien connu. Et c’est Ruis qui l’a tué.
Diego voit s’ouvrir un nouvel abîme.
— Expliquez-vous !
— J’étais de l’équipage, à bord de La Chimère . Voilà maintenant dix-huit ans. J’avais la vie devant moi.
Et le prisonnier raconte une part de son voyage, la découverte du nouveau monde. Il parle de la tribu du chef Oukatchac, de l’accord passé entre les conquistadors et les sauvages : l’or contre le sang. Il évoque le départ des deux chefs, Ruis et Philippe partis en éclaireurs découvrir la récompense promise en échange de quelques coups de feu.
“ Au bout de plusieurs jours d’attente, Ruis revint enfin.
Il savait où se trouvait l’or, il allait nous y conduire.
Philippe était mort, nous dit-il, il avait tué Oukatchac, dans un moment d’égarement. Mais Ruis avait marqué le chemin, il retrouverait la piste. Auparavant, mieux valait décimer le village, ne laisser aucun survivant. Quand ils apprendront la mort de leurs chefs, ils prendront les armes contre nous , expliqua Ruis pour nous convaincre de ne montrer aucune pitié.
Ceux qui nous avaient nourris furent massacrés.
Ruis prit la tête de l’expédition.
Il allait nous rendre riches.
En fait, il nous mena droit dans un piège.
Et ce fut à notre tour d’être mis en pièces. Pour éviter la faux, je restai couché, me faisant passer pour mort. Des mois plus tard,je suis parvenu à reprendre la mer, à bord d’une frégate. Je ne pensais qu’à une chose : me présenter devant Ruis et le faire payer.
Après des semaines et des semaines passées à retrouver sa trace, à comprendre qui il était devenu, je lui fis parvenir un petit billet. Ancien compagnon de la chimère, revenu au pays, demande audience particulière à Son Altesse don Ruis d’Esquobal.
Ruis se présenta au lieu dit où je lui donnai rendez-vous.
Il me reconnut.
— Que veux-tu ? me demanda-t-il froidement, en cachant sa peur. Mais sa peur, je la sentais, elle me puait au nez.
— De l’or, lui répondis-je. Ma part. Je crois l’avoir bien méritée.
J’étais prêt à le faire chanter. À dire qui il était, quelle sorte d’homme, ce qu’il avait fait… à tout avouer à sa femme. Ah, on me croirait peut-être pas, mais on aurait des doutes, et les doutes, c’est la gangrène, ça ronge et ça dévore tout jusqu’à la tête.
Ruis consentit à me payer, pour me faire taire.
Il versa une première prime. Mais je me montrai gourmand, comme lui, j’en voulais plus. Alors, il me tendit un autre piège. Il était assez puissant pour me faire accuser, me jeter aux oubliettes. Voilà quinze ans que je croupis dans cette cellule, que je meurs par petits bouts. Quinze ans que je garde la vérité au fond de la gorge ! Ruis a eu le culot de venir me rendre visite, peu de temps après mon arrestation. Il m’a raconté tout ce qu’il avait fait, que c’était lui qui avait tué le chef Oukatchac, qu’il avait aussi tué Philippe qui tenta de l’en empêcher. Il voulait partager les souvenirs, le bon vieux temps !
J’aurais dû mourir depuis des années, mais j’ai la vie dure.
J’étais certain de goûter un jour à ma vengeance.
Hélas, tu n’en pourras pas faire grand-chose, jeune homme.”
Malavida
La mort va les réunir.
Diego et Gabriela seront exécutés le même jour, sur la même tribune.
Le jeune homme aura la tête tranchée, et la femme sera jetée aux flammes.
Les condamnés s’avancent. Ils se parlent avec les yeux.
Mais alors qu’ils montent ensemble les marches, des coups de feu retentissent, des cavaliers surgissent. C’est la panique, la confusion.
Les prisonniers sont enlevés, ils s’échappent à dos de cheval.
L’action fut si soudaine et si bien menée, que personne
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