Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
minutes, un autre serviteur entrera. Tout cet attirail en exposition : broches, pinces, couperets, sont à sa disposition. Il vous fera parler français .
— Que me voulez-vous ?
— Savoir de quelles couleurs sont vos atouts. Je vous dois quelques explications avant de vous abandonner aux mains de notre artisan. Cet espion qui veillait chez Desdémone, l’empoisonneuse, la maîtresse cachée, cet espion qui voulut, par excès de zèle, devancer la marche des opérations, faire florès en tuant Mazarin, cet espion qui manqua son coup – son coup de dague – par votre faute, cet espion, vous ne le connaissiez pas, son visage vous était probablement étranger. Mais lui, lui, il vous a reconnu. Vous êtes manifestement une célébrité, d’Artagnan, et vous l’ignoriez. Bref, ce messager est venu nous apprendre quiveillait sous la robe du cardinal. Quand on connaît le nom d’un homme, il n’est pas difficile de savoir où il vit, où il va, et qui il fréquente. Il fallait un appât. Cœur d’amadou avec les femmes, le Gascon est fidèle en amitié. Un vrai chien de berger. Un vieil ami le convoque, après maintes d’années de silence, et il accourt à sa rencontre, sans prudence. Maintenant, c’est bien simple, nous désirons apprendre par votre bouche, tout ce que sait Son Éminence sur l’affaire en cours : celle de sa mise à mort. Nous n’aimerions pas échouer si près du but.
— Vous voulez me faire parler, et me tuer ensuite.
— Je le crains. Il ne tient qu’à vous d’abréger au plus tôt votre calvaire. Nous avons déjà une version des faits et quantité de témoins chargés de répandre la triste nouvelle : oui, vous avez été victime, sur l’un des ponts de Paris, d’une embuscade tendue par des larrons qui n’en voulaient qu’à votre bourse. La vie passe comme une ombre. Puisque vous avez préféré faire front plutôt que la céder, ces mangeurs de pain rouge n’ont pas attendu que vous tiriez le fer pour plonger en tous coins, de part et d’autre de votre auguste personne, la lame de leurs poignards. Après quoi, votre cadavre percé fut jeté dans les eaux… une dépouille égarée, partie à la dérive échouer sur la berge de quelque lointain rivage. Oui, c’est ici, dans ce cachot, je le crains, que s’achève de bonne heure votre jeune et prometteuse carrière d’agent du secret. Car c’est bien le rôle que vous tenez, n’est-ce pas ? Auprès de Son Éminence. À tout dire, nous avons aussi des oreilles au Palais-Royal, dans les antichambres ; au Louvre, tout le monde trahit : le bois, la pierre, la cour et les portiers ; et l’on vous a vu, là-bas, aller et venir au point du jour, pour être reçu en audience très particulière. Des mots ont fui par ces trouées, à travers ces cloisons si fragiles : des mots de Cabale et d’assassinat, des mots de poids, vous en conviendrez. Bien. Je dois vous laisser. Place à l’artiste . Lui ne sait rien, si ce n’est ce qu’il doit faire.
— Me direz-vous votre nom ? Puisque je dois mourir de toute façon.
Mon interlocuteur hésite un instant avant de se prononcer, puis en me tournant le dos, en ouvrant la porte, il finit enfin par me répondre :
— Fargis. Pour vous servir. »
Le bourreau
Le jeune roi se ronge les ongles. Il est au supplice. Voir souffrir son ami le chevalier, car il devine les choses, la scène, comme s’il était sur place, voir souffrir son ami le chevalier, disons-nous, lui est insupportable.
D’Artagnan se garde de le rassurer. Son auditeur est à sa merci.
« Fargis, dit le mousquetaire. L’âme damnée d’Henri de Gaillusac, l’ambassadeur de la Cabale. Ce personnage à la voix caverneuse a tout, en effet, d’une éminence grise, à commencer par la couleur de l’habit, des yeux, des cheveux, de la barbe. C’est bien l’homme des basses besognes, ce confident à qui l’on confie le sale travail. Mais un bras droit doit savoir déléguer, lui aussi.
Il se retire pour laisser entrer le bourreau.
J’ai beau être aguerri, en avoir vu de toutes les couleurs, c’est la première fois que je vais être soumis à la torture.
Quel homme sait ce qu’il pourra devenir face à la question ? Un héros sacrifié ou un traître à son prochain ? Gardons-nous de juger ceux qui souffrent.
La torture ne doit pas seulement agir sur le corps de la victime, mais encore sur son esprit.
L’imagination de l’homme fait partie de ces ustensiles que manipule le bourreau. Il
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