Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
l’adresse où vous trouverez Desdémone. Prenez garde, elle se tient protégée : rue Saint-Sauveur.
César Ravier
L’homme de la situation
Après être resté un instant abattu, Edmond se lève, comme réveillé par la foudre, il se dirige vers la sortie.
Je lis une sombre détermination dans son regard et je demande confirmation
— Où allez-vous ?
— C’est bien simple, dit Edmond d’une voix blanche, la tuer.
Don Juan de Tolède est également debout.
— Vous n’en ferez rien, dit-il en se postant devant la porte.
— Monsieur, dit Edmond, écartez-vous, rien ni personne ne m’en empêchera.
— Pour cela, Hercule vous haïra. Vous le perdrez.
— Et lui perd la vie, si je ne fais rien. Vous avez vu cette lettre aussi bien que moi. Mais j’y pense… le saviez-vous ? Vos yeux vous trahissent. Oui, vous saviez qu’il s’était laissé envoûter par cette femme ! Vous saviez les risques qu’il encourait, et vous l’avez laissé aller à sa perte, vous ne m’avez rien dit. Vous êtes un lâche !
— Vous avez raison, je suis un lâche, et je ne suis rien pour personne, cela me laisse toute liberté d’agir. Gardez le beau rôle, j’ai pour habitude qu’on me jette l’anathème.
— Que voulez-vous faire ?
— Prendre votre place.
— De quel droit, en quel honneur ?
— Vous l’avez lu. Cette femme se tient sur ses gardes. Vous n’arriverez jamais jusqu’à elle. Et certainement pas dans cet état. Pour réussir, pour l’approcher, pour l’atteindre, pour accomplirle geste sacrilège, il faut avoir ses entrées, avant de savoir rester de marbre. Il vous manque l’expérience. Je l’ai. Laissez-moi faire.
— Et pour les entrées, pour passer sa porte, comment ferez-vous ? Vous aurez besoin d’aide, laissez-moi venir avec vous, je pourrai au moins déjouer la vigilance des sentinelles.
— J’irai seul. En vérité, pour franchir le seuil et me tenir au plus près de cette femme, je n’aurai pas à me cacher. Je suis attendu.
— Attendu ?
— Oui, monsieur, pour souper. D’ailleurs, j’allais partir. Je serai bien à l’heure.
— Vous la fréquentez ? demande Edmond avec dégoût.
— Ce genre de femme ne se fréquente pas, répond poliment don Juan. On peut tout au plus se mesurer à elle. C’était mon intention.
Je me lève.
— D’Artagnan, me somme Amadéor, restez à votre place.
— Mais qui vous dit que ce mot ne soit pas un piège ?
— Rien, en effet.
— Et vous allez tomber dedans, tête la première ?
— Les pièges sont faits pour ça.
— C’est une folie, je dois vous en empêcher, au nom du cardinal, il a besoin de vous !
En effet, je pense au cardinal. Sachant ses secrets, je ne peux accepter qu’on laisse tuer cette femme.
— Monsieur de Villefranche, dit don Juan, vous allez pouvoir m’aider. Finalement, nous ne serons pas trop de deux pour abattre cette Gorgone. Gardez d’Artagnan, empêchez-le de sortir. Au besoin, dit-il, en prenant mon épée rangée sur la chaise, assommez-le.
Tout compte fait, à chacun son ingrate besogne. »
Sacrifices
Laissons le chevalier d’Artagnan gardé prisonnier dans sa chambre sous la surveillance de monsieur Edmond de Villefranche, et courons rattraper Amadéor, notre bourreau des cœurs Jean Hackard de La Hache, aventurier voyageant désormais sous le nom romanesque de don Juan de Tolède.
Il n’est pas dans nos intentions d’empêcher l’inévitable, de barrer la route de cet homme résolu et capable de tout. Nous ne ferions pas le poids. Cette force qui va, sans lever le front, traversant les rue de Paris au galop de son cheval, c’est le destin en marche, invincible puissance.
S’il refusait de prendre au sérieux les avertissements de Fortunio concernant cette femme quand le danger à courir ne concernait que lui, don Juan de Tolède doit désormais se rendre aux évidences. Cette Gorgone est maudite, elle n’aime, elle ne séduit que pour tuer ensuite. Elle prend, elle sacrifie, elle se repaît donc du sang de ses proies.
Oui, elle va sans doute mourir empoisonnée, mais don Juan devine la pensée occulte de cette femme : elle ne veut pas partir seule… elle emportera son dernier amant sur l’autre rive, telle une reine de l’ancien temps descendant les régions inférieures entourée d’un cour de serviteurs immolés pour l’occasion.
Hercule doit vivre. Cela seul compte.
La lettre de ce sorcier, César Ravier, l’aventurier y songe en chemin,
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