Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
C’est au sujet de l’Alouette, la jolie Margaux, la protégée de Lanteaume. Je suis allé porter ma lettre, ou plutôt celle que Molière et Fortunio ont écrite à quatre mains. Je rentre par l’arrière-boutique, je graisse la patte de la propriétaire, je laisse mon billet, je m’apprête à partir, mais je me range aussitôt contre un mur.
“Elle vient.
Vous aviez vu juste : cette enfant n’est farouche qu’en apparence. Elle ne demande qu’à être aimée. Impatiente de lire les mots de son prétendant, elle avait une fois encore déserté son poste, déjoué la vigilance de ses gardes.
Notre homme – mon rival – lui tombe dessus.
Il vient de la rue d’en face, à croire qu’il l’attendait.
— Que faites-vous là ? demande notre frondeuse, rouge d’embarras.
— Je n’osais espérer vous voir, lui dit l’autre. Je venais déposer une lettre. Quel bonheur de vous la remettre en mains propres !
— Je passais par hasard, tente mademoiselle, en faisant un pas de retrait.
— Je ne crois pas au hasard. Je vois qu’au contraire, la Providence veut nous réunir. Elle a ses raisons. Ainsi, vous n’êtes point indifférente, peut-être éprouvez-vous ce que je ressens, même si vous refusez de l’avouer.
— Détrompez-vous, répond la jeune femme en mettant la main à la crosse de son pistolet. Je veux bien vous lire… cela me divertit, mais n’en attendez pas davantage.
— Vous me traitez de haut parce que vous me croyiez bien différent de vous, à l’abri.
— Vous l’êtes.
— Plus pour longtemps. Je suis résolu à passer de votre bord, de l’autre côté de la loi. Au péril de ma vie. Je suis prêt à tout perdre, à tout abandonner. Mes richesses, ma place. Je veux gagner par moi-même l’honneur et la considération. Tout cela par amour, pour vous plaire, puisqu’il vous faut des preuves. Haïssez-vous toujours le cardinal de Mazarin ?
— Lui ? C’est notre mortel ennemi !
— Eh bien, puisqu’il est votre ennemi, il est aussi le mien. J’ai mis mon sceau en bas d’une liste. Je viens de rejoindre une Cabale, un parti de frondeurs. Le cardinal va mourir. Êtes-vous contente ? Êtes-vous fière de moi ? Cela vous fait-il plaisir ? demande l’homme en s’approchant.
— Tout cela est si soudain… répond Margaux en lâchant la crosse de son arme.
Son interlocuteur recule de son plein gré. Il serre les poings.
— Mais je les déteste ! Eux aussi, ils me répugnent ! Je les méprise.
— Qui ?
— Les Grands ! Ces intrigants en chef qui jouent de loin, sans exposer leur tête ! Ils ne seront braves qu’à l’heure de la victoire. Et puis, ils sont lents ! Ils tergiversent ! Moi, je veux agir vite ! Oui, j’aime soudainement, au premier regard et j’exécute sur-le-champ, sans hésiter ! Je suis un homme de passion, et je brûle pour vous d’un feu que rien ne pourrait éteindre. Serez-vous avec moi ? Acceptez-vous de mener cette affaire à mes côtés ? Si nous faisons corps, demain soir, le cardinal peut être mort. Nous serons riches, nous partagerons l’or, nous changerons la face du monde et nous scellerons notre amour par le sang d’une juste cause !
— Je dois y réfléchir.
— Il n’est plus temps ! Je ne peux plus attendre. Embrassez-moi ! Délivrez-moi !
— Non… C’est encore trop tôt.
— Bien. Comme il vous plaira. Je souffrirai, je serai patient. Mais pas pour lui ! Encore une fois, il faut faire vite, la fortune est là ! J’ai un plan infaillible, car je détiens des informations de la plus haute importance. Mais pour réussir, avant eux, j’ai besoinde votre complicité. Tout le mérite vous reviendrait. Je n’aurais fait que vous porter à la plus haute marche !
— On vient. Séparons-nous.
— Un rendez-vous ! Je dois vous revoir ! Sans attendre ! Je vous dirai tout ! Tout ce que vous devez savoir…
— Demain, aux bois du roi Jean. Devant la tombe de l’inconnu, vous connaissez ?
— Bien sûr.
— Pour midi.
— J’y serai. Ce baiser, de grâce.
— Demain. Peut-être. Adieu.
— Je m’incline. Adieu.
Suite
“Il fallait choisir, reprend Amadéor. Suivre l’homme ou la fille. Vous savez où porte ma préférence. J’ai donc marché derrière l’Alouette, partie à tire-d’aile. Dieu soit loué, elle quittait le terrain en emportant mes deux messages, ce poème et cette lettre que la maîtresse de maison voulut lui remettre sur le pas de la porte.
J’espère qu’ils pourront jouer en ma
Weitere Kostenlose Bücher