Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
son tour d’apprendre la nouvelle : je suis passé de vie à trépas, et ces blessures qu’il voit sur mon visage sont l’effet d’une séance de torture infligée dans une chambre noire, par la main d’un bourreau reconnaissant.
La porte – celle de ma cellule –, venant à peine de se refermer, s’ouvre pour la troisième fois. À présent, c’est Hercule qu’il faut instruire, car c’est Hercule qui rentre. Nous eûmes mieux aimé – et mille fois encore – le tenir à l’écart de nos petits secrets – ces secrets d’État –, le laisser vivre sa vie de baladin, d’amoureux fou, de comédien exalté, ne pas jeter une ombre sur ce tableau aux couleurs de feu dont il est à la fois le peintre et le sujet, mais les événements récents, son entrée inattendue nous obligent à lui avouer cette vérité qu’il n’ignore qu’à moitié : une cabale veut assassiner Son Éminence, monsieur Henri de Gaillusac en est l’ambassadeur, et nous sommes, don Juan de Tolède, monsieur de Villefranche et moi-même, chargés de la faire échouer, mieux, de la démasquer de bas en haut.
Une affaire de complot : pour Hercule, c’est un nouveau chapitre à ce livre animé qu’il feuillette jour après jour dans le Paris de ses rêves. Loin d’abattre sa joyeuse humeur, cette révélation faite confidemment et non à mots couverts semble enrichir d’un nouveau combustible le foyer de son enthousiasme. Le sang lui monte aux tempes. Son maître n’est plus seulement un gentilhomme en quête de réparation, un plaideur entraîné par son devoir dans une sombre histoire d’héritage, le voici désormais agent du pouvoir, chevalier en mission. Quant à nous, don Juan de Tolède et moi-même, nous sommes ses modèles ! Hercule ne demande qu’à ceindre l’épée, montrer qu’il peut non seulement dominer l’estrade, mais encore prendre le masque quand les flambeaux s’éteignent et que les dangers vous encerclent.
Ce jeune homme est bien le fils d’Amadéor.
— Gardez votre place. Vous avez beaucoup à faire, ordonne Edmond à son page. D’ailleurs, je dois vous entendre.
— Quand il vous plaira, répond Hercule. Mais tenez, voici une lettre. On vient de la déposer en bas. Je sortais de ma chambre quand le messager passait la porte. Je l’ai prise aux mains de l’hôtelier et je viens vous la remettre.
— C’est bien, dit Edmond. Tu peux nous laisser.
Obéissant, Hercule s’en va.
Edmond déplie la lettre.
Il pâlit. Sa main tremble. Il demande à s’asseoir. Que contient cette lettre ? Nous devons savoir. Amadéor la réclame. Edmond juge que ce ne sera pas nécessaire. Mais l’aventurier insiste.
— Soit. Lisez, messieurs, nous dit le gentilhomme en nous tendant le papier.
Voici ce qu’il contient.
Monsieur, vous êtes bien à plaindre. Votre page, le jeune Hercule, est tombé dans un piège. Le plus doux, le plus voluptueux, le plus tragique des pièges.
Sa beauté a sonné sa perte.
D’abord, il vous ment. C’est-à-dire qu’il vous cache la vérité.
Comment pourrait-il vous la dire, sans vous faire trembler ?
Vous croyez sans doute qu’il alla, hier au soir, boire quelques traits de vin en compagnie de gens de son âge, qu’il goûta aux plaisirs innocents, qu’en arrivant au matin, sans avoir fermé l’œil de la nuit, il quittait alors le lit d’une comédienne.
Oui, il quittait une femme.
Mais cette femme, c’est la mort en personne.
Elle s’est prise de passion pour votre protégé.
Hélas, les passions de Desdémone sont fatales.
Tous ses amants ont terminé dans le fossé, encore endormis, le sourire fixé sur les lèvres.
Ce n’est pas une légende, c’est la vérité. Je le sais, comme je sais bien d’autres choses encore pour la simple raison que je fus son maître, je lui appris à ne faire confiance à personne.
Si vous n’agissez pas, Hercule mourra, comme les autres.
Je ne veux pas vous dire ce que vous avez à faire, mais l’emprise que Desdémone exerce sur les hommes est si forte qu’éloigner votre page de cette tentatrice ne servirait à rien. Tôt ou tard, il vous échappera, il reviendra, il est son esclave. Vous comprenez donc ce qu’il vous reste à faire.
Je vais mourir, avant le lever du prochain jour.
Je vais devoir affronter mon Juge.
En essayant de sauver un innocent, j’espère alléger ma peine… et peut-être œuvrer pour le salut de mon âme.
En espérant qu’il ne soit pas trop tard.
Voici
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