Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
confirme cette jalousie de l’homme oublié. Il était là, pendant tout ce temps, aux côtés de cette femme, il lui transmit son horrible savoir, il fit d’elle sa meilleure élève, il lui apprit à se garder de ses sentiments, il la façonna, et il l’aima, éperdument… en secret. Il l’aima atrocement, sans être payé de retour, toujours proche et toujours tenu à distance, restant le maître, le conseiller, sans jamais pouvoir devenir l’amant, le confident, le tout. Il devait maudire son propre visage, son apparence ingrate, et brûler de jalousie en voyant tous ces jeunes Adonis passer la porte interdite, gagner le sanctuaire de cette chambre, coucher dans ce lit païen où l’idole les attendait, leur ouvrant ses bras, ses lèvres et les portes de l’éternité. Sans doute aurait-il été prêt à payer en conscience et sans hésitation, du prix de sa vie, les vertiges d’une nuit de plaisir et d’union.
La mort n’est rien si le cœur est comblé.
Et cette mort arriva… comme par inadvertance, se trompant de cible, le frappant lui quand elle aurait dû en coucher un autre. Une mort lente, à petit feu, une mort respectueuse et patiente, lui laissant le temps de faire les comptes, de constater la vanitéde ses espérances, de porter un coup décisif à celle qui ne répondra donc jamais à ses désirs.
Don Juan quitte la selle de son cheval.
Il est devant le palais de l’Italienne.
Il porte avec lui, rangée dans son dos, cette dague qui lui rendit tant de services . Ce soir encore, elle sera mise à contribution. Mais cette fois, il ne s’agit plus de se salir les mains afin d’empocher la solde d’un malandrin, en espèce sonnantes et trébuchantes. Une fois l’affaire expédiée, il n’ira pas laver le sang du crime dans le vin des débauches, entouré de femmes vénales et d’amis infidèles.
… Il retournera sur ses pas, il mènera sa mission à bien, et il disparaîtra.
Je vous attendais…
Un homme anodin, convié à la table d’une femme ordinaire, passerait par la porte, c’est l’usage. Pour ce soir, don Juan de Tolède a une autre idée en tête. Il veut se mettre dans la peau de son personnage. C’est par la fenêtre du haut qu’il s’introduira. Comme un voleur. Comme un meurtrier.
Fortunio qu’il dépêcha en repérage le soir de la représentation à l’hôtel de Bourgogne l’a précisément renseigné. L’aventurier n’ignorant donc plus rien des forces ni des faiblesses de cet écrin de pierre ou de soldats entourant la perle noire, il déjoue les sentinelles, se faufile dans les allées, escalade les corniches, et passe directement tel un rayon de lumière, un courant d’air, un pigeon voyageur, par l’une des ouvertures supérieures, au dernier étage de la bâtisse. De là, avec une nonchalance telle qu’on le prendrait pour le véritable régent des lieux, il redescend les escaliers, traverse les galeries, puis les couloirs, abasourdissant au passage de son assurance les valets et laquais qui n’osent lui demander d’où il vient ni où il va, et se dirige enfin vers ce jardin des Hespérides, où Desdémone l’attend derrière un rideau de protection.
Cette fois, il ne s’agit plus de pousser des serviteurs en livrée, mais de faire face à une ligne fermée, celle d’une garde d’hommes avertis et armés comme il se doit.
L’un de ces protecteurs s’avance.
— Vos armes, monsieur, demande-t-il avec une courtoisie empreinte de fermeté.
Don Juan de Tolède enlève son baudrier et remet son épée. Il lui reste encore sa dague, il ne peut s’en défaire.
— Toutes vos armes, précise-t-on, en gardant la main tendue.
L’aventurier croise les bras, signe de refus.
— Je ne puis vous déposer, dit-il, la plus dangereuse d’entre elles. Elle serait d’ailleurs de peu d’effet sur vous, elle n’agit qu’auprès de ces dames, vilaines ou comtesses.
Les hommes se demandent ce qu’on leur raconte. Don Juan de Tolède s’approche encore, il est prêt à forcer le passage, mais Desdémone a commandé le lever de la herse et l’abaissement du pont-levis. Le danger peut entrer, il est le bienvenu.
— Cette arme – le charme – vous fait manifestement bien défaut, messieurs les veilleurs de nuit, dit encore l’aventurier en riant froid au nez de ces hommes de fer que rien ne semble émouvoir.
L’aventurier passe en soulevant effrontément sa cape, afin que tous voient ce poignard à longue poignée qu’il
Weitere Kostenlose Bücher