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Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

Titel: Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Benoît Abtey
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ce que dit ce regard noir à la surface, bleu dans les profondeurs, ce regard pénétrant que Desdémone porte au cœur de son interlocuteur, avant de reprendre :
    — Nous nous sommes mutuellement rendu service, sans préméditation. En vous révélant les véritables desseins – les derniers dessous de l’intrigue – de votre partenaire, monsieur Ravier d’abord et moi à sa suite, nous démasquons un péril caché dans votre ombre, un péril que vous ne vîtes sans doute point venir, tout occupé que vous étiez à regarder au loin, toujours devant. Par ailleurs votre négligence – divine pourrait-on dire, ou tout au moins salutaire – m’a rendu l’air et la vie. Monsieur Ravier est mort, l’écume aux lèvres, en disant son manus , après m’avoir offert sa protection. Il est mort parce qu’il m’espionnait, une main dans la nuit, l’autre vers le ciel. Son départ me délivre, il me soulage, buvons à la santé du disparu.
    Don Juan de Tolède aimerait sans doute en apprendre davantage, mais il songe à Hercule. Sous la table, ses doigts retrouvent la garde du poignard. Une brise descend dans la cour, elle glisse entre les allées, longe les murs, frôle les croisées, se faufile au jardin, souffle une rangée de chandelles d’un coup de fouet et disparaît comme un esprit en fuite.
    Don Juan accepte de trinquer, il vide son verre.
    De son côté, Desdémone ne se fait pas d’illusions, ce gourmand n’a ni faim ni soif. Il a renoncé à ses prérogatives. Tout au mieux la garde lui interdira de sortir, si toutefois elle y parvient, mais elle ne pourra l’empêcher d’accomplir son acte. La main de l’Italienne pose sa main sur sa jambe, sous la table. Ce stylet – arme de dernier recours –, il lui reste encore une chance de ne pas s’en servir.
    — Croyez-vous aux malédictions, monsieur de Tolède ?
    Malédiction, ce mot est revenu plusieurs fois le hanter, en effet. Don Juan songe à Henri, qui comme lui, avant lui, fut frappé en plein ciel, d’une flèche à l’épaule, quand cet épervier commençait tout juste à ouvrir les ailes. Quoi que l’on fasse ensuite pour reprendre les choses en main, rien ne pourra vous rendre un bras rompu, un destin brisé, la blancheur des roses d’antan. Le sang que l’on répand au couchant n’effacera jamais celui que l’on reçut en pleine face, à l’aurore de sa vie. Même à l’heure de la victoire, son goût de fer vous reste dans la bouche.
    Don Juan de Tolède se sent parfaitement calme, maître de lui, bras d’acier et cœur de marbre. Sans bouger de sa chaise, il dégaine légèrement, d’un pouce, son poignard de l’étui. Il répond :
    — Je crois à la toute-puissance de mon bon vouloir.
    Cet homme a des entrailles , songe Desdémone en soutenant son regard.
    — Vous avez raison, l’esprit est tout. Nos pensées sont des actes. Sacrilèges ou créateurs. L’homme est un dieu qui s’ignore. Puis-je vous raconter une histoire ?
    La gueuse , se dit don Juan, elle veut gagner du temps .
    — Est-elle longue ?
    — Je ferai court.
    La main droite de l’aventurier reste fixée sur la garde de son arme, l’autre porte le verre à la bouche. Don Juan finit d’une lampée ce qu’il contient, avant de répondre :
    — Dans ce cas, je vous écoute.
    La malédiction
    « Il y a bien longtemps une jeune femme fut aimée d’un bourreau. C’était le temps des ravages et des guerres, la France n’était plus qu’un duché sans fortune.
    Cette jeune femme en aima un autre. Le bourreau devint fou de jalousie. Il la dénonça comme sorcière. La sorcière se cacha avec son amant et ce fils qu’elle attendait de lui. L’enfant vint au monde, mais la sorcière fut rattrapée, on la condamna au bûcher. Le bourreau qui était épris de sa beauté allait y mettre le feu. Avant de mourir sous les flammes, cette sorcière eut le temps de maudire son assassin. Cet homme rouge… Elle eut ces mots : Ceux de ton sang ne connaîtront l’amour que pour l’offrir à la mort. Sinistre prédiction, je vous l’accorde. On ne dit pas assez que la haine est un poison qui condamne celui qui le boit comme celui qui le verse. Ces lignées allaient être maudites : celle du bourreau et celle de la victime.
    C’était plus que prévu. Mais il était écrit, là-haut, dans la carte du ciel, que le sortilège prendrait fin un jour. En cette année 1643. Je veux bien le croire. Je suis la descendante lointaine de cette sorcière que l’on purifia

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