Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
cheveu à la mort, le cardinal de Mazarin se remet aussi vite qu’il le peut de ses émotions. Fausse joie. Desdémone est bien son ange gardien, après l’avoir aidé en secret à gravir les plus hautes marches, elle vient tout bonnement, et sans le savoir, de lui sauver la vie. Si Son Éminence n’avait pas reçu au matin cette demande de libération, il n’aurait jamais été à la Bastille pour en ouvrir les portes de fer. Cette grâce qu’il garde contre lui, cette grâce qu’il vient de signer, c’est la sienne.
Mes ennemis sont donc prêts à tout. Plan collectif ou démarche isolée ?
Mazarin relève Valériane et lui offre son mouchoir. D’une voix douce et rassurante, il interroge la jeune femme :
— Cet homme qui vous a mis le couteau dans la main, pourriez-vous me donner son nom, mon enfant ?
— Hélas, non. Je l’ai vu hier au soir pour la première fois. C’est Fortunio, mon doux ami, qui me l’a présenté.
— Et en toute impartialité, pensez-vous que ce Fortunio eût pu être son complice ?
— Impossible. D’ailleurs, comme je vous le disais, il fait partie des prisonniers. Et puis, je connais Fortunio, j’ai vu son cœur dans sa main. Un cœur d’or dans une main de bronze.
— Revenons à notre homme. Pourriez-vous me le décrire ? A-t-il quelque signe distinctif ? Est-il identifiable ?
— C’est un gentilhomme, comme tant d’autres. Hélas, non, il n’a rien de particulier. Son regard est plein de feu. Ce feu, c’est celui du désespoir. Je suis navrée.
— Mais au besoin, pourriez-vous le reconnaître ?
— Bien sûr.
— Voici ce que nous allons faire. Rassurez-vous, je ne suis pas aussi cruel que ceux qui tirent les ficelles de ces sombres machinations, que ces intrigants qui vous ont dupée, chère enfant. Cependant, je ne puis tout à fait vous laisser vous échapper. Pour votre protection d’abord, et parce que je veux pouvoir vous convoquer sur-le-champ, si j’avais nécessité de vous faire comparaître. Me comprenez-vous ? Car cet homme, quand il saura qu’il a échoué, pourrait se retourner contre vous. Je dois vous garder de ces représailles. Le nom de Desdémone ne vous est plus inconnu, puisqu’on vous a raconté toute l’histoire. Eh bien, après nous être arrêtés à la Bastille comme prévu, je vous conduirai moi-même à son hôtel. Je vais vous remettre un mot qui vous introduira. Cette femme, en effet, veut employer du personnel, un personnel qu’elle va d’ailleurs recruter au sein de cette compagnie bohémienne que nous allons remettre en liberté. Là-bas, vous serez en sécurité. Je vous offre donc un toit, un emploi, et un rempart de protection. Mais gare, n’en sortez point ! Comme je vous le disais, je pourrais avoir besoin de vous, et dehors… tout est péril.
De funestes conclusions
Monsieur Philippe de La Veyre doit cette fois se rendre aux évidences. Lui et monsieur Fargis n’emporteront point l’affaire avant les autres.
La guigne est tenace. Elle s’entête. Elle garde la main.
Il était resté non loin des portes du Louvre.
Il avait vu sa Valériane, soigneusement apprêtée, monter à bord du carrosse de Son Éminence. Ce n’était qu’une question de minutes. La fille savait qu’il fallait agir promptement. D’ailleurs, dans ces situations, tout le temps qui s’écoule entre le moment où l’on est en position et l’instant où l’on porte son geste est non seulement un temps perdu, mais un temps qui vous perd. Plus on attend, plus on s’affaiblit.
Il n’est pas souhaitable de rentrer en rapport avec sa victime.
De la laisser jaser, surtout lui : le cardinal. Il est si beau parleur, si séduisant personnage. Ce miel qui sort de sa bouche agace les hommes de tempérament, mais il englue doucereusement les âmes moins fermes. Il amadoue les amateurs de sucre.
Philippe de La Veyre est resté à bonne distance, mais quand il a vu le carrosse de Son Éminence gagner le pont de la Bastille, il a compris.
Pour en avoir le cœur net, il est encore resté à patienter – impossible attente – devant l’illustre prison. Plus tard, en voyant la compagnie de ces bohémiens, de ces arracheurs de dents, de ces magiciens, de ces funambules en habit d’arlequin, oui, en voyant ces gueux sortir par la grande porte, retrouver l’air pur du dehors, il serra les mâchoires. Et comme si cela ne suffisait pas, Philippe de La Veyre, pour dernière insulte, vit encore les rescapés montrer fièrement leurs
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