Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
du Ciel d’empêcher un épouvantable méfait. Ce soir, grâce à nous, chevalier, le maître des ombres pourra grincer des dents en voyant qu’il manque une part du tribut à la table des offrandes ! Oui, c’est bien le Ciel qui modifia ma route, me fit longer ce muret, pour surprendre malgré moi des paroles qui me glacent encore l’échine ! Ces gitans ne sont là que pour un soir, le temps d’une escale, entre deux orgies. Une nuit devrait leur suffire pour agir, remplir la cale, faire chargement. Demain, à la première heure, dans le silence et la blancheur de l’aube, ils reprendront la route, ils quitteront la plaine apporter ailleurs comme un vent de peste la souffrance et la désolation. Ces fils de Satan ne sont ni montreurs d’ours, ni marchands d’orviétan, mais voleurs d’enfants, prospecteurs de chair humaine !
— Que dites-vous !
— Oui, monsieur, dans deux ou trois heures, un groupe d’hommes quittera le camp. Il prendra votre apparence : celled’une milice en armes portant flambeau. Nul ne songera à dévisager de plus près le véritable teint de ces lanceurs de couteaux. Une fois en marche, ils remonteront les rues pavées en tenant les rênes d’un chariot à provisions. Consciencieux, guidés, ils suivront borne par borne un chemin préétabli. Et par qui, messieurs ? Par des complices, des mignons de la meilleure société qui soit, c’est-à-dire la plus vile, la plus répugnante qui puisse exister. La lie de l’humanité sent le musc et la poudre violette ! Oui, ces agents ont des employeurs ayant connaissance du territoire et pouvant les conduire à ces portes marquées d’une croix blanche. Là, nos rôdeurs s’introduiront le foulard au nez, en tenant devant eux ces lampes magiques qu’utilisent seuls les initiés… En se consumant, la cire des chandelles libère les pouvoirs de la main de Gloire dont elles sont imprégnées : cette drogue plonge dans un profond et durable sommeil qui la respire. Voilà leur arme silencieuse. Ne nous leurrons pas, en cas d’incident, ces gueux pourraient bien sortir le poignard, s’il faut étouffer le cri du père ou de la mère les surprenant à l’ouvrage ! La ronde achevée, la besogne abattue, ils rentreront, réveilleront les leurs, abandonneront leurs déguisements et gagneront en habit de fête les ports de partance où la marchandise bâillonnée sera remise à de nouveaux convoyeurs, dernier relais avant d’accoster de l’autre côté des mers. Là-bas, nos enfants seront prostitués dans des harems et des sérails réservés à une clientèle triée sur le volet ! Ceux-là seront encore les plus chanceux, d’autres seront minutieusement, artistiquement défigurés, bouches fendues et autres atrocités afin d’être monnayés comme pièce d’exception à quelque prince du désert. Mis en cage, nourris comme des fauves, exposés entre les eunuques agenouillés et les martyrs cloués au pilori, ces monstres décoratifs feront le divertissement de ces grands seigneurs aux mœurs raffinées ! Oui, chevalier, je ne vous offre pas seulement la possibilité d’intervenir avant qu’il ne soit trop tard, d’empêcher l’horreur, mais également le moyen de mettre à jour toute une organisation ténébreuse mêlant l’élite du crime, la fleur du vice à l’hideuse armée des marchands, des complices, des geôliers, cheminant par terre ou par mer. Arrêtez ces maillons de la chaîne, soumettez-les à la question. À la question, tout le monde parle et vous allez peut-être connaître le plus grand jour de gloire de votre carrière ! Chevalier, votredestin, sans compter celui des familles qui vous remercient à travers moi, est entre vos mains.
Le sauveur
La nuit sera mon alliée , se dit Philippe de La Veyre en retournant sa cape, en arrachant ses plumes à son chapeau et en retirant ses gants de cuir brun. Il ne s’agit pas d’être reconnu à sa mise par cette patrouille que nous venons d’alarmer. Cela ferait tout échouer.
Il va descendre au campement par une voie parallèle.
Là où il est placé, en surplomb, Philippe de La Veyre peut tout voir.
À gauche, au loin, le guet va s’approcher des barrières. On éteint les flambeaux pour ne pas attirer l’éveil, et l’on poursuit sa progression.
À droite, de l’autre côté des murs, le campement des bohémiens est en pleine effervescence. Une musique endiablée monte à travers ciel. Damnés noceurs .
Ils dansent, tournent comme des toupies, font
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