Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi

serait-ce que pour une nuit. S’il est donc incapablede repousser les assauts de Cupidon, Madeleine pourrait tout aussi bien fondre pour un autre. Et cela, il ne peut l’accepter, il ne veut pas y songer. Il ne veut pas soumettre son amour à l’épreuve.
    Non. Il faut décidément agir.
    Ces comédiens sont innocents et ces bohémiens sont probablement victimes d’un coup monté. Mais à qui en parler ?
    Don Juan de Tolède, d’Artagnan !
    Mais Molière entend de terribles choses sur le chemin du retour.
    Les nouvelles vont bon train, et se répandent sous toutes les formes : paroles, rumeurs, chansons, billets. Le corps flottant du chevalier d’Artagnan aurait été retrouvé mort, percé comme un arrosoir, échoué sur la berge après avoir dérivé sur les eaux de la Seine. Et ce n’est pas tout. Un malheur appelle son frère. C’est une hécatombe ! Le dénommé don Juan de Tolède est désormais recherché pour meurtre sur la personne du gentilhomme Edmond de Villefranche !
    La bonne âme de Molière se confond en reproches. Le comédien est au désespoir.
    « Ainsi, j’ai échoué, je n’ai pas été bon, et le sang a coulé !
    Le bonheur est si volatile, c’est un parfum. Il se respire jusqu’à l’étourdissement, mais le vent passe, les minutes s’écoulent, et il s’évapore, ne vous laissant pour trace immatérielle de son passage qu’un heureux souvenir, une image en mémoire, un serrement au cœur.
    Oui, tout s’écroule, tout part, tout se défait.
    Rien n’a tenu. »
    La nuit est partout. Molière vient d’arriver au port. Il est devant l’hôtel de Desdémone. Il se fait annoncer, il demande Hercule. En espérant qu’il soit là.
    Molière est reçu.
    Quelle journée ! Quelle nuit ! Il passe par toutes les angoisses et il approche toutes les résurrections. En guenilles le matin, il fait grande dépense l’après-midi. Le soir, il est à la fête près d’un feu de joie, dans un campement de bohémiens, la nuit venue il remonte les rues de Paris sous la garde des soldats de la prévôté, et enfin après avoir échappé d’un rien à la Bastille, il échoue dans un palais Renaissance de toute beauté.
    Des laquais le font entrer, des gardes le laissent passer.
    Il va patienter au milieu de statues en marbre et des jets d’eau, dans le calme et la magnificence.
     
    On va le guider vers une chambre somptueuse, ornée de tableaux signés par les plus grands maîtres, de coffres orfévrés, de miroirs ouvragés, une chambre éblouissante de lumière où son ami l’accueille en compagnie de cette inquiétante femme, si belle, si troublante. Ensemble, Hercule, Molière et Desdémone vont partager un vin d’exception, versé dans une coupe de cristal de couleur rubis. Le visiteur est prié de prendre place, de prendre ses aises, il doit se sentir chez lui, les poètes, les artistes, les dieux méconnus de ce monde aveugle et sourd, sont ici en terre d’asile, en pays conquis. Et maintenant, qu’il parle. Molière parle si bien, puisqu’il parle avec son cœur, et certes, ce soir, Molière a tant de choses à raconter !

Le paquet
    Molière dit tout.
    Il était résolu à ne rien cacher.
    Il se faisait toute une idée de cette femme : empoisonneuse, dit-on, magicienne, sans doute. Mais ce qu’on entend des gens sans les connaître est souvent aussi éloigné de la vérité que l’ombre peut l’être de la lumière. Contre toute attente, Molière est immédiatement séduit. Mis en confiance, il veut être franc. Il se confesse. Il raconte sa visite au maître François de Lyon… en détail. Et une nouvelle fois, il rapporte son entrevue de la veille avec Philémon Janisse de La Ravoie. Oui, il dit tout, il fait part de tous ses tourments, exception faite de ses doutes au sujet de Madeleine Béjart.
    Hercule écoute attentivement, sans mot dire. Desdémone fait de même.
    Molière se sait compris. On ne le juge pas. Il poursuit. Il va tout au bout de sa pérégrination : une véritable itinérance, de bouge en château, seul ou en force !
    — Hélas , dit Molière, je suis venu vous voir en désespoir de cause. Ne sachant plus à quelle porte frapper, ne sachant plus quel parti adopter ! Ces comédiens sont sous les verrous, nourris au pain sec, et maintenant Dieu seul peut les sortir de là ! Et j’ai encore, Hercule, de bien mauvaises nouvelles à t’apprendre : d’Artagnan n’est plus. Quant à don Juan de Tolède, son nom figure en gros titre sur les avis de