Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
l’insouciance revenue. Simplement le groupe s’est élargi. Fortunio présente Valériane à Molière, Molière présente ses remplaçants, Valériane reconnaît les vêtements. Une discussion et quelques explications s’ensuivent, se concluant par ces mots, ceux de la jeune compagne de Fortunio, adressés aux futurs interprètes des Conquistadors : Vous avez été recueillis là où j’ai grandi.
Le cortège rejoint bientôt la tribu vagabonde, alors qu’à quelques pas de là, Philippe de La Veyre joue double jeu, barrant la route au chevalier du guet pour l’inviter à faire faire demi-tour à sa compagnie de soldats, tous feux éteints, la pique en avant.
Lecture interrompue
Plus bas, Molière est ébloui, enchanté, transporté.
Toutes ces couleurs, tous ces parfums, tous ces chants, toutes ces musiques… toutes ces femmes ! D’ailleurs, il vient d’offrir sa main à l’une d’entre elles.
— Laisse-moi te dire l’avenir, beau comédien.
— Vous savez qui je suis ?
— Je peux tout voir, je peux tout lire, cette eau-là est limpide, dit la bohémienne en passant le bout de ses doigts aux ongles longs sur cette carte aux mille tracés. Tu vas quitter Paris, bientôt.
— Il faudrait pour cela que vous ayez le projet de m’enlever, de m’emmener avec vous !
— Eh oui, nous ferons peut-être un bout de chemin ensemble. Mais tu iras plus loin que moi. Moi je ne suis qu’un papillon aux ailes de couleurs, ma vie est courte, c’est une chanson triste, à trois notes. Toi, tu es un oiseau rare .
La bohémienne qui a levé la tête pour dévisager Molière, fondre son regard dans le sien, baisse à nouveau les yeux. Elle doit cacher sa rougeur, car elle est émue, et elle veut poursuivre sa lecture :
— D’abord l’apprentissage. Long, laborieux. Tu dois patienter…
— Ah, je vous arrête. La patience, dit Molière, n’est pas ma vertu première.
— Oui, je sais, je vois. Apprends, bel ami, tendre cœur, que tôt ou tard, toute âme de passage sur terre doit traverser un désert, afin de se parfaire. Tu pourras retarder ton départ, repousser l’inévitable, mais les ennuis te rattraperont, les difficultés te chasseront, servant ainsi le dessein des astres, les vues du grand tout.
— Dame ! Et c’est dans ma main que vous voyez tout cela, comme du haut d’une montagne. Voilà qui donne le vertige ! Et pour le reste ? L’amour ? Voilà un chapitre que je serai bien aise de feuilleter en votre compagnie, que voyez-vous ?
La bohémienne rougit une nouvelle fois. Le cœur de Molière s’accélère. La gitane se penche de nouveau sur la main du comédien, comme elle se pencherait sur la margelle d’un puits.
— Ligne de cœur …
Mais hélas, la bohémienne ne peut en dire davantage, au grand regret de Molière, grand curieux par nature.
La fête est de courte durée.
À peine y est-on entré qu’il faut en sortir. Sous la menace des armes.
C’est l’affolement, la stupéfaction, l’effroi, la fin des réjouissances.
Molière est arrêté, comme les autres, comme cette délicieuse diseuse de bonne aventure aux yeux noirs, à la peau cuivrée, comtesse de bohème aux pieds nus.
Le voilà séparé d’elle, le voilà prisonnier, se demandant bien quelle horreur il a pu commettre, pouvant justifier un tel déploiement de force.
Célébrité naissante… ? Non. Honorable réputation
Molière est au bout de la chaîne.
Il remonte la rue, l’air abattu, avec tous ses compagnons de détention. Au bout du voyage : la Bastille, le grand hôtel des grands criminels. La meilleure Maison de Paris en son genre, bien que Vincennes jouisse également d’une certaine réputation. Le pire est à craindre, le mieux s’achète à prix d’or. Il y en a pour toutes les bourses, cela va du trou à rats à la chambre d’hôte en passant par le galetas ténébreux. Tout est une question de moyens. Qui peut payer verra la lumière. Dieu soit loué, merci, don Juan de Tolède, Molière dispose encore de quelques finances, en espèces sonnantes et trébuchantes.
Un soldat du guet, homme trapu à la grosse moustache, vient lui adresser la parole :
— C’est amusant, votre tête me dit quelque chose… je ne sais plus où est-ce que je vous ai vu, mais je vous connais.
Le farceur retrouve sa bonne humeur, il reprend espoir.
— Ah, monsieur, enchanté, je me présente : Molière, comédien. Sans doute m’avez-vous vu sur l’échafaud d’une scène de théâtre. J’ai déjà
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