Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
de ne pouvoir en prendre connaissance un jour… Mais justement, c’est bien parce que cette histoire est belle, qu’elle mériteraitcent fois d’être rapportée, qu’il vaut sans doute mieux ne pas la glisser entre parenthèses. Cette peinture n’est pas un détail (bien qu’elle puisse appartenir à une œuvre d’ensemble), elle doit se détacher sur le mur, n’être enfermée que par les quatre bordures d’un cadre dessiné pour elle, d’un châssis conçu à ses mesures.
Le lecteur peut partager la frustration de notre jeune auditeur, mais il peut aussi se réjouir de ne pas quitter la route pour d’autres détours maintenant que notre voyage touche à sa fin ; et qu’il lui tarde peut-être de voir à quoi ressemble le paysage de ce territoire où nous allons l’abandonner.
Vive le bourreau de la France
« Don Juan de Tolède, dit d’Artagnan, n’a pas terminé son récit quand Belles-Manières revient un panier à la main, porteur de victuailles et de bonnes bouteilles.
— Ne vous gênez pas pour moi, dit-il, j’ai bien entendu que vous parliez de Son Éminence, comme j’ai bien compris qu’en enlevant mademoiselle, on cherchait à lui nuire. Belles-Manières n’a peut-être pas inventé le fil à couper le beurre, mais il a des yeux et des oreilles, et une cervelle comme tout le monde. Pour moi, encore une fois, ce que j’ai fait, je l’ai fait pour ma dette, et pour Lanteaume ! Mais je ne demande qu’à prendre place et à en apprendre davantage, d’avoir un autre son de cloche.
Nous avons pris notre repas dans un cercle protégé, sous les arbres, dans un asile de verdure, entouré par le chant des oiseaux et don Juan a poursuivi son récit, ou plutôt ses récits sans jamais perdre l’attention de son auditoire.
— Voilà, dit Amadéor pour conclure, à quoi ressemble le véritable cardinal Mazarin, dégagé de tous les préjugés, de toutes les erreurs, de tous les mensonges dont on l’habille, de toutes les épines dont on le coiffe. Voilà de quoi est capable cet homme peu ordinaire, généreux, joueur, et parfois secret.
— Eh bien, dit Belles-Manières une bouteille à la main, quelle leçon ! Quelle histoire ! Il est bon de savoir que vous auriez peut-être pu, en d’autres occasions – si la vie n’était pas ce qu’elle est –, avoir de la sympathie et peut-être même de l’estime pour cethomme qui vous fera pendre un jour. Mais croyez-moi sur parole, désormais, quoi qu’il m’en coûte, quand le nom du cardinal passera la porte d’une taverne, qu’il se mêlera aux conversations d’en bas, près de moi, je tâcherai de m’opposer à ces attaques qu’on lui portera. La misère doit avoir un père, le malheur un fautif, et le rouge attise les colères, il sert de cible, il attire les flèches, il détourne l’attention.
Belles-Manières lève sa bouteille et porte un salut :
— À la santé de Son Éminence et vive le bourreau de la France !
Entrée en grâce
Le repas est achevé, l’histoire est terminée.
Nous pouvons fermer l’œil, nous reposer quelques instants, profiter au mieux du répit, car bientôt, Edmond de Villefranche est de retour. La route est ouverte, il faut partir, en carrosse, à cheval, en tenue.
— Des choses ont changé, dit Margaux à son libérateur, je veux bien porter cette robe, je veux bien vous suivre, mais Lanteaume reste enfermé, Lanteaume reste condamné. Je n’irai pas me jeter aux pieds de celui qui ordonna sa mort. Pas même pour implorer une grâce ! Quant à nous… demande-t-elle en effleurant la main de don Juan.
Celui-ci la porte à ses lèvres en gardant ses distances.
— Je vous le répète, dit-il, quand on ne veut renoncer à rien, on perd tout : ce que l’on a et ce que l’on veut obtenir. En voiture, mademoiselle ! Pour la fin du trajet, dit Amadéor en invitant la fille de Son Éminence à monter à bord, je redeviens votre escorte, je reste à vos côtés, mais de l’autre côté.
C’est en effet un retour en grâce. Les gueux, les badauds, les marauds, tous les mercenaires costumés doivent s’écarter. Place, messieurs ! Prenez garde !
Impossible, certes, de ne pas nous identifier. Le cardinal a désiré faire les choses en grand appareil, secondé en cette affaire par Desdémone.
Des gardes à cheval, pistolets aux fontes, rapière au fourreau, ceinturent le carrosse transportant la jeune Margaux, véritablement nommée Marie Mazarini.
C’est une haie d’honneur de
Weitere Kostenlose Bücher