Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
la quitter.
Sa fille est sauve ! Sa fille revient, elle arrive. Que l’on jette des bouquets de roses sur sa route, que le peuple de Paris chante son retour du haut des balcons ! Que l’heureuse nouvelle soit partout répandue !
Un malheur n’arrive jamais seul, mais quand Dieu manifeste sa puissance, il ouvre grand la main, il comble de bienfaits. Sa fille revient ! Tout ce qu’elle aimerait lui apprendre et ne pourra que taire, elle l’exprimera devant tous, magie du théâtre ! Elle fera parler son âme à travers les mots d’une autre. Jouer enfin pour le fruit de ses entrailles, près de celui que l’on aime ! Est-il une joie plus grande en ce monde ? Cette fête, cette représentation d’un soir, c’est la célébration de la vie, de l’amour, d’une renaissance, c’est une Pâques, la fin du calvaire, la sortie des Enfers.
Desdémone a demandé à être seule. Elle a pleuré, encore, mais de joie.
Ces larmes ne rougissent pas les yeux, ces larmes-là éclairent la pensée autant que le regard, ces larmes-là ne déforment pas les traits du visage, ces larmes-là sont des perles, des diamants, des miroirs, elles l’illuminent.
L’Italienne porte la main à son cou, elle prend cette croix qu’elle conservera pendant toute la durée de la pièce. Elle ferme les yeux, elle se recueille, elle prie : — Seigneur, je ne vous en demande pas davantage, elle est libre, elle est vivante, ce jour est le plus beau de ma vie, après tant d’erreurs et de crimes, de sang et de larmes, je m’en remets à vous, je me livre à Votre Sainte volonté, disposez de moi, faites-moi entendre votre voix et connaître vos désirs, je les exaucerai avec obéissance et reconnaissance.
La comédienne se sent profondément soulagée. Elle respire, elle sourit.
Maintenant, il faut se farder, se préparer à être son personnage.
— Pourvu qu’elle arrive vite ! Que je puisse lui parler un peu, implorer son pardon, accueillir son sourire, peut-être même recevoir son baiser, la serrer contre moi avant de gagner l’estrade, afin que le bonheur soit complet !
Desdémone souligne ses yeux d’un trait de noir. Elle se poudre les joues.
Mais soudain sa main se fige. Un frisson la traverse. Elle devient statue.
Un homme est entré.
Elle le voit se refléter dans la glace, face à elle. Il porte un masque, mais il tient aussi une dague à la main.
Desdémone ne se retourne pas.
À l’heure du miracle arrive celui que nul ne soupçonnait, celle que l’on n’attendait plus. Cet homme, c’est l’envoyé secret du Conseil des Dix, cette visiteuse importune, c’est la mort.
La pièce est jouée.
Songe aux fleuves de sang où ton bras s’est baigné
De combien ont rougi les champs de Macédoine…
Remets dans ton esprit, après tant de carnages,
De tes proscriptions les sanglantes images
Après s’être fait la voix d’Auguste en citant Corneille, l’homme retire son masque. Il veut se faire reconnaître.
Cette fois, Desdémone se retourne, livide.
— Vous ? Toi !
— Oui, moi.
— Mais pourquoi. Pourquoi maintenant ? J’ai recueilli ta maîtresse, elle m’a parlé de toi, elle m’a priée de te faire venir, je vous ai ouvert les bras, la porte de ma maison, et pendant tout ce temps.
— Si vous saviez comme j’ai appris à prendre patience ! Du reste, chère madame, pour ce final, je tenais à vous rendre hommage. Je salue l’artiste. N’est-ce pas ainsi que vous frappez : comme le Vésuve surprenant Herculanum, Dieu, Sodome et Gomorrhe : au beau milieu d’un rêve ?
— Alors, c’est cela, tu es la main du destin, dit Desdémone avec amertume.
— Soit, je vais être plus explicite. J’avais deux bonnes raisons de ne pas apparaître plus tôt. La première, la voici : vous avez tué mon frère et c’est aujourd’hui l’anniversaire de sa mort. La deuxième, c’est que vous allez jouer ce soir une pièce à laquelle j’ai modestement apporté mon concours. Je suis un peu poète. Mais ce poète de peu n’en respecte pas moins ce qui le dépasse. Hercule a quelque chose de feu mon frère, vos goûts vous trahissent. Ce soir est un grand soir et je ne tiens pas à gâcher la fête.
Desdémone se demande si cet homme ne se moque pas d’elle.
— Pourtant…, dit-elle, en tendant la main vers l’arme à la main de son assassin.
Celui-ci relève son bras et apprécie le tranchant affûté de l’outil, en faisant glisser ses doigts le long de la lame.
— J’aurai grand plaisir
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