Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
cavaliers, d’archers, d’arquebusiers. Le pape lui-même ne serait pas mieux reçu en la ville de Paris, fleuron des capitales.
Et pour parachever le tout, de la musique ! Sans musique, pas de triomphe. Les passants sont bien étonnés, les témoins restent muets. Qui vient ? Qui entre ? Quelle duchesse ? Quelle reine ? C’est un camouflet à la face de la Cabale.
Oui, messieurs, semble dire le cardinal, l’œil à la fenêtre, en dominant les étendues, j’ai une fille , vous ne l’ignorez point. Brassez toutes les rumeurs qu’il vous plaira, salissez-moi, tentez de me tuer, réussissez à me discréditer, je ne courbe pas l’échine, je montre avec éclat comme je défends les miens, comme je les honore, et je vous salue !
La jeune Alouette peut se demander si elle ne vit pas un rêve, si le cauchemar dont elle sort fut bien réel, si le monde dans lequel elle entre n’a pas emprunté ses splendeurs aux artifices du théâtre d’illusions. Le tambour mène le cortège, le fifre le suit, et toute une compagnie bohémienne, colorée, éclatante, ferme la parade en lançant au ciel des torches enflammées, en faisant tinter des clochettes, vibrer des luths et des vielles, résonner cymbales et tambourins ! Pour une fois l’ordre et la bohème marchent sur une même ligne, de conserve, sans que l’une ne terrorise l’autre, sans que le bruit des chaînes que l’on tire à grand-peine ne réponde aux hennissements des chevaux, aux sifflements du fouet.
Alors que nous approchons de l’hôtel de Desdémone, Edmond de Villefranche a quelque chose à nous donner. Il suit une consigne.
— À chacun son masque, dit-il.
Nous demandons des explications.
— C’est bien simple, répond le gentilhomme. Il court un bruit dans Paris qui jette une ombre sur le palais de l’Italienne Desdémone. On la dit empoisonneuse, sorcière. Et cette sorcière a maintenant l’idée de révéler ses talents de comédienne ! Mais qui pourrait décemment se montrer là-bas ? Dans sa cour ? Nul honnête homme, aucune femme respectable ! Quel dommage… Ce qui sent le soufre pique la curiosité. On aimerait voir, juger sur pièce, critiquer sur place. Or, un ami d’Hercule, le dénommé Molière, a eu une idée de génie pour permettre aux intrigués de venir sans crainte d’être reconnus, et aux comédiens de recevoirun public : ces masques. C’est la convention. Qui veut venir, qui veut entrer, doit porter le sien.
— Décidément, dit don Juan de Tolède, ce Molière est plein de ressources. Eh bien soit, qu’il en soit ainsi, mêlons le chaud et le froid, arrivons en fanfare et couvrons notre visage ! »
Cinquième Partie
Recevez mes adieux
Chapitre un
Dans les coulisses du théâtre, rue Saint-Sauveur
Intrusion
Au château de Saint-Germain, une nouvelle journée vient de s’achever.
C’est sur cette arrivée glorieuse et sonore, alors que le carrosse emportant Marie Mazarini n’a pas encore franchi le porche de l’hôtel, que les retrouvailles et les présentations fort délicates, chargées d’émotions contraires, vont bientôt avoir lieu dans quelque pièce réservée, c’est, disons-nous, sur cette arrivée singulière, alors que tout Paris se demande quelle grandeur est ainsi véhiculée en si magnifique équipage, c’est sur cette arrivée singulière, oui, que d’Artagnan choisit par liberté autant que par contrainte (la nuit s’avance, il est en droit de retrouver ses quartiers) de clôturer son chapitre.
Demain, il fera jour, Majesté.
Demain, nous retournons au théâtre.
Mais pour l’heure, tirons le rideau, soufflons la chandelle, prions la Vierge.
La nuit du jeune roi sera chargée d’attentes, nous nous en doutons.
Oui, la nuit est là. Et la nuit tout est permis.
Profitons de l’obscurité pour nous échapper et regagner, ni vu ni connu, le cœur de Paris, et très exactement la rue Saint- Sauveur. Prenons notre masque comme tout un chacun, franchissons la cour, empruntons la porte dérobée – miraculeusement laissée sans surveillance –, rentrons dans l’intimité des lieux et retrouvons dans sa loge l’âme de ce théâtre, l’hôtesse Desdémone.
Avant que le rideau se lève
Elle est heureuse. Elle est comblée. Elle est mère, elle est délivrée, elle est aimée.
Son cœur bat dans sa poitrine comme un moineau tombé du nid, prisonnier entre les mains d’un enfant.
Monsieur Edmond de Villefranche, le maître d’Hercule, vient tout juste de
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