Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
elle ne pourra donc partir avec lui.
Elle n’ignorait pas, du reste, au fond d’elle, dans cette partie qui voulut l’avertir et qu’elle préféra ne pas entendre, que cette liaison était condamnée à l’éphémère, que ce bonheur ne pouvait s’éterniser. Elle devait être l’initiatrice de ce cœur d’enfant, l’inspiratrice de sa vie future, elle devait le conduire à sa vie d’homme, l’abandonner après l’avoir révélé. Lui venait pour la sauver, lui offrir le moyen d’accomplir ses rêves, de toucher, de goûter au merveilleux après qu’elle se fut si longtemps oubliée dans la nuit. Lui venait lui rendre la paix avant son départ.
Desdémone ne peut se mentir, pas aujourd’hui, pas maintenant. Elle ne veut plus lutter, elle est prête à se laisser emporter, il faut obéir.
Ce ne sont pas les hommes qui viennent réclamer sa vie, c’est Dieu qui vient la chercher.
Il n’a pas attendu pour se manifester. Oui, il donne et il reprend.
— C’est bien, Seigneur, je boirai le calice que tu me tends. Puisses-Tu m’accorder Ton incompréhensible indulgence et me permettre de venir Te saluer ce soir, dans cette robe qui sera mon vêtement de noces.
Baiser d’adieu
Fortunio peut reprendre le masque et laisser celle qui doit mourir.
Il sort. L’hôtel est rempli du bruit des allers et venues.
C’est l’agitation qui précède une première.
On rejoue son rôle dans son coin, on s’encourage, on se prépare. Les costumiers ont encore l’aiguille à la bouche et le fil à la main. Les peintres décorateurs achèvent leurs toiles de fond d’un pinceau tremblant au milieu du désordre et des passages.
Fortunio, lui, est calme. Pourtant, il brûle.
Il traverse les pièces, salue ceux qu’il côtoie depuis quelques jours. Il semble se mêler, par le cœur du moins, à l’effervescence générale… il est de la maison…
Enfin, il trouve Valériane, il la prend par le bras et l’entraîne à l’écart.
— Belle Valériane, mon amour, je voudrais te parler, un instant.
La bohémienne sourit. Son bonheur, c’est lui. Ce jeune homme si beau, si fier, si mystérieux. Quand elle fut abandonnée par son compagnon, elle avait cru ne jamais pouvoir retrouver goût à la vie, le désir de l’autre, la joie en soi, la chaleur du feu. Et puis, marchant au hasard, sans but précis, elle rencontra ce troubadour qu’elle ne put reconnaître.
Quand elle fut sauvée du bûcher par don Juan de Tolède, d’ailleurs masqué, Fortunio, par prudence, demeurait aux arrières. Là où il se trouvait, à l’orée du bois, il ne pouvait apercevoir qu’une silhouette. Le destin avait voulu que ce musicien et cette bohémienne se retrouvent plus tard, au plus près, pour se découvrir.
Ce jeune homme marchant le nez au vent, les mains dans les poches, une guitare sur le dos, visitait Paris. Sous sa désinvolture apparente, Valériane lui trouva un air triste, mais cette tristesse la toucha et l’intrigua. Elle aurait pu lire dans sa main, dévoiler son passé, fouiller son cœur, mettre la lumière sur ses secrets, mais elle le refusa. Séduite à l’instant où elle s’y attendait le moins, quand elle n’espérait plus l’être un jour, elle sentit immédiatement, intimement, que ce promeneur croisant sa route devait absolument la rejoindre. Pour une fois, elle ne voulait pas trop en savoir, elle voulait découvrir cet inconnu, au fil des jours, au fil des nuits, respecter son silence. Elle lui demanda bientôt de jouer quelque chose.
Sa musique, si simple, si émouvante, si franche, la bouleversa. Quelques notes avaient suffi à la transporter, à lui mettre les larmes aux yeux. Elle avait rencontré Orphée. Le reste se fit tout seul, sans mot inutile. La connivence des regards, la complicité des sourires favorisa la communion des esprits, entraînant l’union des corps.
— Valériane, te souviens-tu de ce jour ou tu es venue me retrouver pour me conduire chez les tiens, avant ce terrible événement ?
— Si je m’en souviens !
— Eh bien, ce jour-là, avant d’être interrompu, j’étais en train de composer un morceau. Une mélodie… cette mélodie, je voulais te la dédier, avec le texte qui l’accompagne. Voici la partition, voici le poème. Prends, s’il te plaît, dit Fortunio en sortant de son pourpoint deux feuilles pliées en quatre.
Valériane accepte, mais elle ne comprend pas.
— Pourquoi me les donner maintenant ?
— Je ne sais pas. Si jamais il
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