Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
m’arrivait quelque chose…
— Qu’est-ce que tu dis ? Tu es fou ? Rien ne peut nous arriver puisque l’on s’aime.
— Sans doute, mais parfois une angoisse lointaine revient m’étreindre. Elle ne prévient pas. Ce soir, au milieu de cette joie, elle est là.
— Je suis toute prête à la faire disparaître, cette méchante importune, dit Valériane en embrassant son amant.
Fortunio prend ses lèvres. Il n’entend plus la rumeur aux alentours. L’espace d’un instant, il oublie en effet l’étrange prémonition. Il s’abandonne pourtant à toute la ferveur de sa passion, comme si ce baiser de réconfort devait être le dernier, comme si ce baiser ardent et fougueux devait être un baiser d’adieu.
Chapitre deux
Avant la pièce
Les récompenses de Desdémone
À Paris, la Fronde fait rage, mais au château de Saint-Germain, le soleil est revenu.
D’Artagnan est de nouveau près du roi.
« Quand nous arrivons, Sire, la cour est vide. Pourquoi ? Parce que l’hôtel est plein. Il a déjà ouvert ses portes, et le public a pris place sur les bancs, de l’autre côté de la demeure princière. Nous entrons les coudées franches, ayant tout le loisir d’occuper à notre guise l’espace réservé aux équipages encombrants.
Nul doute que les spectateurs de prestige ont été déposés par leurs carrosses à quelques pas du théâtre . Il valait probablement mieux ne pas montrer sa voiture, ses armoiries, à la porte de ce gouffre où le Diable irait ce soir chanter la grand-messe. On préféra donc achever pédestrement le reste du trajet, acceptant de salir dans la boue et le purin ses bottes et ses souliers pourvu que sa réputation restât immaculée.
L’escorte armée, ayant accompli sa mission, peut repartir, les bohémiens, eux, s’éparpillent. Nous descendons du coche ou de cheval, nous mettons pied à terre. Nul danger. Investie par la garde personnelle de Son Éminence, la place est sécurisée.
Monsieur votre parrain va peut-être essuyer quelques foudres, mais il ne chercha pas à dissimuler sa présence. Car il est bien là. Officiellement, il est venu assister à la pièce. Du reste, il tenaiteffectivement à honorer l’invitation que Desdémone lui adressa. Il veut montrer qu’il soutient les arts, le théâtre, qu’il se moque du qu’en-dira-t-on, et que s’il est ministre du royaume de France, il ne renie pas pour autant ses origines. N’est-il pas, lui aussi, le jouet des mauvais esprits ? Ce que l’on colporte sur cette femme vaut bien tout le mal que l’on pense de lui. L’Italien se montre solidaire de sa compatriote, le calomnié soutient l’injuriée.
Officieusement, Son Éminence vient donner la main à son ancienne maîtresse pour recevoir secrètement sa véritable descendante. Secrètement, oui. L’enfant retrouvée est attendue par sa mère, devant l’entrée, pour être conduite à son père.
Desdémone nous reçoit dans son habit de scène. Sa grâce si altière, son port de reine, sont magnifiés par cette toilette espagnole, cette armure de velours où le corps et l’âme sont retenus prisonniers, ce carcan de dentelle aux frontières desquelles les mains fines sont si joliment mises en valeur. Les cheveux noués en lourdes tresses, le cou allongé, la tête droite, le regard clair, les lèvres scellées par la pudeur, l’hôtesse nous fait face.
De l’autre côté, tous l’attendent, acteurs et spectateurs, masques et partenaires. Elle n’aura pas beaucoup de temps pour elle, pour ces retrouvailles.
Elle se domine, mais on la devine profondément troublée.
Desdémone ose enfin se mouvoir. Ses mains tremblent légèrement, ses joues rosissent. Son regard irradie.
— Dieu, que vous êtes belle, dit-elle à sa fille, qui reste stoïque, impénétrable, dans sa robe de satin.
Comprenant aussitôt – par divination – qui est l’auteur de cette transformation, Desdémone s’incline face à l’aventurier :
— Vous songez à tout, monsieur.
— Un diamant d’un tel éclat, dit-il en s’inclinant à son tour, doit se présenter sur un écrin de velours.
— Comment vous remercier ?
Don Juan de Tolède doit masquer ses sentiments plus que son visage, il se tient droit, porte une main à la garde de l’épée, et tend l’autre… En se montrant infiniment grossier, il espère sans doute aider l’Alouette à prendre son essor.
— En vous montrant généreuse.
Margaux tourne la tête, dévisage son protecteur, cet
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