Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
homme qu’elle aime, cet homme qui la dédaigne, la blesse, l’injurie par son impudence. L’incompréhension se lit dans son regard. Ainsi, c’était pour de l’argent ?
L’hôtesse, elle, se montre un peu surprise, mais consent volontiers à donner satisfaction.
— Tout ce qui est ici, dit-elle en ouvrant les bras, vous appartient, servez-vous.
— Tout ? demande don Juan, en faisant un pas vers l’Italienne.
— Tout, confirme cette dernière, sans hésiter.
— Dans ce cas, dit l’aventurier en s’approchant encore de son interlocutrice, en prenant son menton dans sa main de cuir, permettez que je vous embrasse.
Desdémone se raidit, ce qui se réchauffait lentement en elle se glace soudain, ce qui s’ouvrait se referme. Elle repousse délicatement la main de don Juan. Il doit y avoir méprise…
— Ici ? Maintenant ? demande-t-elle. Vous plaisantez ?
L’aventurier respire à pleins poumons, il bombe le torse, et nous désigne, allant toujours plus loin, plus bas, dans l’outrecuidance :
— Quoi ? Ça vous gêne qu’on nous regarde ?
L’Italienne jette sur lui un regard plein de mépris.
— C’est bien vrai, vous n’êtes donc qu’un aventurier !
Mon équipier ne baisse pas les yeux, ni le ton.
— Je suis don Juan, bourreau des cœurs, embrassez-moi. Et soyez heureuse que je n’en demande pas davantage, puisque vous êtes prête à dire amen à tous mes désirs.
Desdémone rougit jusqu’au front. Il dépasse les bornes.
Margaux est folle de rage, elle aussi s’empourpre, mais de colère.
Non, l’aventurier ne plaisante pas. Il faut lui obéir, puisqu’il a tous pouvoirs.
Desdémone tend la tête vers son débiteur. Face à son égal, son rival, son miroir, la grande séductrice outragée montre un visage de bois.
L’aventurier se recule à l’instant où ses lèvres vont toucher celles de cette vénéneuse conquête. Cela ne lui plaît pas, il se fait comprendre :
— De grâce, dit-il, mettez-y du vôtre. Comme je le disais jadis à votre fille, les baisers volés n’ont aucune saveur. Je voudrais pouvoir exprimer mon plaisir avec les mots du poète Tristan l’Hermite :
Au point que j’expirais, tu m’as rendu le jour,
Baiser, dont jusqu’au cœur le sentiment me touche
Don Juan patiente, il attend de voir changer l’expression de ce visage, la couleur de ce regard, le dessin de ces lèvres. Quand il se juge satisfait de ce qu’on lui présente, de ce que l’on s’accorde à lui offrir, il ôte son chapeau, approche sa bouche, ferme les yeux et reçoit son tribut.
Cela fait, il se recule avec lenteur, reprend une pose normale et tire sa conclusion, en conservant un même cynisme :
— Les racontars sont bien des farces destinées aux esprits les plus crédules. Je suis toujours debout, le baiser de la Vierge n’a rien de mortel. Ne t’en déplaise, Fortunio, je n’ai pas rencontré ma mort sur un bouton de rose.
Comme si cela n’était pas assez, don Juan se retourne vers l’Alouette et lui parle en ces mots :
— Merci, mademoiselle, votre délivrance m’a permis d’obtenir ce que je convoitais plus que tout. Me voici comblé.
Pour toute réponse, la jeune femme lui envoie une gifle à tout rompre. L’aventurier la reçoit dignement, sans sourciller.
— Bon sang ne saurait mentir ! dit-il en portant son gant à sa mâchoire avant de poursuivre en montrant la mère et la fille désormais côte à côte : ici ou là, autant de flamme que de tempérament ! On ne saurait choisir.
Amadéor s’incline jusqu’à terre, le feutre à la main, le panache balayant le sol.
— Aussi, je me retire, dit-il.
L’aventurier s’écarte. Après s’être honteusement conduit, au mépris de tous les usages, de toutes et de tous, il présente Belles-Manières en lui rendant justice :
— Sans l’aide de monsieur Belles-Manières, votre fille chérie restait prisonnière. Mais rassurez-vous, belle madame, je ne crois pas que notre ami songe à passer après moi sur vos lèvres, vous n’aurez pas à le payer en nature.
Belles-Manières bouscule don Juan de l’épaule. Il porte la main à son épée, il va tirer le fer. Mais Amadéor retient son geste.
— Eh bien, monsieur La Mort, mon outrecuidance vous choque peut-être ? Il est vrai que monsieur est un maraud de la plus fine épice. Gardez votre lame au fourreau, mon ami, vous risqueriez de la déshonorer en la tournant contre ce malappris qui vous parle.
Après avoir mûrement
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