Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
auparavant délivrer un message.
En effet, je viens d’apercevoir le brigand Belles-Manières. Je le rejoins alors que le rideau va incessamment se lever. La pièce achevée, il pourrait disparaître, se confondre dans la foule, sans que j’eusse pu lui transmettre les offres de Son Éminence. Je lui en fais part et comme Amadéor le supposait fort justement, le brigand se cabre. En retour de sa contribution, il ne demande qu’une chose : la délivrance de Lanteaume, il veut lui faire don de sa grâce et conserver sa place. Je lui répète le mot de monsieur votre parrain en toutes lettres : impossible .
Pour Belles-Manières, c’est cela ou rien. Ce sera donc rien.
— Ainsi soit-il, cher d’Artagnan, me dit-il, en me serrant la main. Que chacun reste sur ses positions. J’ai eu grand plaisir à chevaucher à vos côtés, mais je crains fort qu’à l’avenir nos épées ne se retrouvent l’une face à l’autre. Le loup mourra dans sa peau .
— Dans ce cas, dis-je, il n’est rien à ajouter. Mais si toutefois vous souhaitiez revenir sur votre décision, voici mon adresse…
Je lui laisse l’information et je le quitte pour rejoindre Edmond de Villefranche et notre jolie frondeuse, véritable demoiselle d’honneur.
Hélas, Sire, cette pièce que j’ai vu naître, disons-le tout de suite, je n’en verrai ni le début ni la fin.
Que ton talent et ton courage te vengent !
Je ne vais m’installer que pour me relever quelques minutes plus tard.
Quelle étonnante salle ! Quel terrible public ! Tous ces masques, couvrant les visages jusqu’au menton, cacheront si bien les émotions de ces beaux esprits, prédateurs aux dents longues ! En relevant cette gageure, Hercule doit une fois encore prouver qu’il porte bien son nom. Un premier triomphe appelle l’épreuve suivante. Refusant par nature de s’asseoir sur ses lauriers, il monte. Après avoir dompté la colère de la foule, séduit la cour de Paris, survécu aux charmes fatals de Desdémone, il veut aller plus loin, renverser l’opinion, bouleverser les convenances, forcer l’admiration, accomplir l’impossible ! Je tourne la tête, observant les yeux d’Edmond, unique faille dans ce mur qu’est le masque. En l’hôtel de Bourgogne, il se faisait un sang d’encre, sachant trop bien comme ce page inconscient, ce héraut d’armes portant ses couleurs, allait en montant sur scène emporter toutes les chances de succès de son maître, jouer sur le plateau de cette estrade devenue l’arène d’un tapis-franc, le tout pour le tout. Mais ce soir, Edmond n’espère rien pour lui, le cardinal ne s’est pas encore prononcé à son égard, pourtant le digne paladin a toutes les raisons de se croire délivré de ses attentes. Victorieux par avance, il prend sa vraie place, autorisant ainsi son protégé à trouver la sienne. Hercule est bien devenu un homme libre. Il doit triompher pour lui seul. Que ton talent et ton courage te vengent ! Rabaisse la superbe de tes ennemis en les poussant à reconnaître ta valeur ! Voilà ce que je lis dans le regard d’Edmond, qui réalise sans doute, grâce au jeune homme, ce qu’est la véritable réparation ! Non plus le sang pour le sang, la mort pour la mort, le deuil sans fin, l’interminable chaîne des dettes, des insatiables créances, le sacrifice de la jeunesse, l’orgueil gouvernant la bravoure, mais la victoire du bien sur le mal. Non, Edmond n’est ni aveugle, ni sourd. Il entend, comme moi, autour de lui, les murmures de nos voisins, les rires méchants… Peut-être a-t-il eu l’occasion de lire et de déchirer quelques exemplaires de cesnouvelles à la main, de ces satyres, raillant ce couple insane mariant le vice à l’enfance, le ciel à l’enfer.
Lui-même, avouons-le, se garde bien de parrainer ce rapprochement. Desdémone, nous le savons, ne lui inspire aucune confiance. Mais peut-être, en la voyant jouer, être pleinement elle-même en prenant la vie d’une autre, peut-être pourra-t-il la découvrir sous un nouveau jour… S’il ne saurait approuver cette liaison licencieuse qui doit prendre fin, peut-être pourra-t-il la comprendre, la respecter, voir scintiller, au-delà des apparences, les rayons de l’amour, là où il ne peut, pour l’heure, que condamner le triomphe d’une femme égoïste.
Pour moi, comme je le disais, Majesté, je ne pourrai, hélas, applaudir cette pièce que j’ai vu naître.
Alors que le rideau se lève, que les comédiens vont
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