Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
tant de merveilles auxquelles elle ne fut point habituée, l’Alouette reste à quelques pas de la porte, totalement éblouie. Fascinée par ce qu’elle voit, elle semble oublier qu’elle eut le privilège de vivre quotidiennement au milieu des créations les plus originales, les plus variées, les plus admirables qui soient. La nature, ce ciel sur terre, avec ces fées que sont les libellules et les papillons, et ces anges que sont les oiseaux, n’est-elle pas la source même de toutes inventions ?
Monsieur votre parrain est fébrile, mais fort digne, en habit de pourpre.
Il tourne le dos à une grande fenêtre donnant sur la cour.
Après avoir été immédiatement attirée et captivée par ces tableaux et ces marbres, l’enfant sauvage aperçoit enfin cette figure à contre-jour, celle son père, et là encore, elle demeure pétrifiée, n’osant faire le premier pas.
Le cardinal s’avance. Plein de respect et de contenance, il vient baiser la main de sa fille.
— Mademoiselle, je suis ébloui, dit-il, vous avez la grâce et la beauté de votre mère.
Il est tentant de critiquer, de maudire, de railler le cardinal de loin, mais il est difficile de ne pas succomber à son charme quand on l’approche. Les dernières résistances de la jeune femme ne tiennent plus que sur un pied, elles vacillent. Cet homme qu’elle voit face à elle ne correspond pas à l’image qu’elle s’était faite de lui. C’est au contraire trait pour trait la figure en chair et en âme dont l’aventurier don Juan de Tolède lui a brossé le portrait vivant, énergique figure peinte dans le mouvement et l’action.
Un reste de retenue, pourtant, empêche la jeune femme de céder complètement au pouvoir de son nouveau protecteur. Entre ce sourire paternel qui lui réchauffe le cœur et sa nouvelle apparence de frondeuse revenue en grâce, une ombre s’interpose. Cette ombre au tableau, cette ombre moitié homme, moitié fantôme, moitié proie, moitié loup, ce revenant qui tourne en cage, en remuant ses chaînes un pied dans la fosse, les mains accrochées au barreaux, ce chêne déraciné, ce tigre enfermé, c’est Lanteaume.
Et comme si l’ombre pouvait parler ou simplement faire barrière les bras croisés, protégeant encore celle qui ne lui appartient plus, le cardinal choisit de ne pas forcer les choses. Il installe sa fille sur un siège, lui demande de bien vouloir l’excuser quelques instants, et c’est à nous qu’il s’adresse.
Chercher la femme
— Monsieur Edmond de Villefranche m’a rapporté, dit Son Éminence en saluant le gentilhomme, qu’un dénommé Belles-Manières était à vos côtés pour cette expédition menée chez l’ennemi.
— Deux affidés l’accompagnaient, dois-je préciser. Ils sont restés sur place. Auvergne et Pied-de-fer.
— Ces trois noms pour tout dire, commente le cardinal, ou du moins ces prête-noms, ne me sont pas inconnus. Belles-Manières… Belle référence en effet. Son curriculum n’en est plus un, c’est un dictionnaire !
Le cardinal nous sert à boire et reprend :
— Au fond, si l’on dénombre chez les plus honnêtes quantités d’incapables, il n’est pas surprenant de découvrir les meilleurs parmi les pires. Vous fîtes bien, Amadéor, de demeurer contre mes ordres. Sans votre précieux concours, messieurs, sans ces brigands, je n’aurais jamais pu connaître ma fille. Si l’on ne peut plus rien pour les morts, les vivants méritent notre bénédiction. Belles-Manières jouit dès à présent de ma protection, je le gracie de tous ses crimes. Les voies de la perdition sont réputées sans retour. Un abîme appelle un abîme. Le voilà libre désormais de tourner le dos à son passé. S’il souhaite se relever les manches, réparer le mal en faisant le bien, je puislui trouver une bonne place dans la profession de son choix, informez-le.
— Inutile, dit don Juan. Je sais d’avance ce qu’il dira : Votre Éminence, je vous échange ma grâce contre celle de Lanteaume.
— Impossible, rétorque aussitôt le cardinal, en faisant un pas vers la fenêtre.
Cela n’est plus de mon ressort. Sa Majesté la reine veut sa tête, je dois la lui donner. La consigne m’a été fermement délivrée cet après-midi même. »
Raison d’État et raison privée
— Ma mère ! dit le roi.
— Oui, Sire, je vous dis toute la vérité.
« Mais laissez-moi vous expliquer. Deux raisons majeures poussent Sa Majesté la reine à prendre cette
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