Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
voix.
— Oui, Majesté, Lanteaume.
« Une fois que la porte se fut refermée, alors que nous allions rejoindre le théâtre, Edmond de Villefranche, mademoiselle Maria Mazarini et moi-même, laissant seuls Amadéor et Son Éminence, don Juan tenta une dernière fois de convaincre monsieur votre parrain de libérer le prisonnier de la Bastille. Évidemment, le cardinal se montra ferme. Dans ce cas , dit don Juan, tu ne me laisses pas le choix . Il sortit un pistolet, le braqua sur le visage de son ami. Il désigna le bureau derrière lequel se tenait Son Éminence. Prends du papier et de l’encre , dit-il, tu vas écrire un ordre de libération que tu signeras, et que tu authentifieras du sceau de ta bague frappée à tes armes. Exécution !
Le cardinal se refusa tout d’abord à prendre la menace au sérieux. Mais en voyant cette flamme dans le regard de son agent, il comprit qu’il n’y avait pas matière à plaisanter. Don Juan venait de prendre sa décision : celle de rompre cette association et de tenter le tout pour le tout, de préférer la vie d’un captif, d’un ennemi, à celle d’un illustre compagnon.
Oui, Majesté, ainsi est don Juan de Tolède : imprévisible, plus farouche que désinvolte, restant toujours son propre maître.
— Partez, d’Artagnan ! me dit Son Éminence, en m’écrivant un billet qu’il signe et qu’il scelle, pour me donner les pleins pouvoirs. Courez à la Bastille avant qu’il ne soit trop tard ! Je resteici, dans cette pièce… je vous attends. Faites venir une escorte de la prison, que je ne reste pas sans surveillance. Pour le reste, oubliez vos sentiments, l’amitié n’a plus cours en cette affaire. Amadéor n’existe plus. Empêchez à toute force ce don Juan de Tolède de délivrer Lanteaume. »
Face à face
Le roi verse une larme.
D’Artagnan lui tend un mouchoir.
— Séchez vos yeux, Majesté. Tout n’est pas perdu. Notre histoire n’est pas encore terminée.
« Je crève mon cheval. À l’issue d’une course effrénée, je passe la porte Saint-Antoine. Muni du cachet de Son Éminence, de ses ordres, je franchis les barrages, la grille d’entrée qui se referme derrière moi, la cour du gouverneur, le pont-levis. Je vois le carrosse du cardinal rangé dans la cour du château. J’arrive à temps, don Juan est encore dans la place, il ne pourrait être reparti sans cette voiture, du moins je le suppose. Je saute à terre. Flamberge en main, prêt à combattre, je m’approche du carrosse. En toute logique, son occupant devrait être à l’intérieur… Mais rien, la boîte est vide. Le corps de garde me rejoint, ainsi que des membres de l’état-major, mis en alerte. On me renseigne, le cardinal est monté dans la tour de la Liberté, au sommet de laquelle se trouve enfermé le prisonnier Lanteaume.
Après avoir dépêché une garnison vers l’hôtel de Desdémone afin de protéger Son Éminence, laissée sans secours, je suis le lieutenant du roi, suppléant le gouverneur alors absent. Je l’informe en tout. Suivis de quatre hommes, nous montons les marches à toute volée. Quand nous arrivons, ils sortent, à l’autre bout du couloir. Face à face. Immobilité de part et d’autre. On en rirait, si l’heure n’était si grave.
Ils sont trois. Lanteaume et don Juan de Tolède, élevé à la pourpre, sont accompagnés du capitaine des portes qu’Amadéor garde prisonnier en pointant une dague sur lui et en empochant son trousseau. Si nous avançons davantage, il le tue. Mais la maudite cloche de la Bastille, cette cloche sonnant nuit et jour, tous les quarts d’heure, condamnant les prisonniers à l’insomnie, perturbe le ravisseur. Le geôlier en profite, il se libère et court dans notre direction. La voie est libre, nous reprenons notre élan. Amadéor, soutenant Lanteaume affaibli par les traitements qu’il dut subir, n’a que vingt pas à faire pour ouvrir la porte conduisant au chemin de ronde, quelques mètres plus haut. Que veut-il faire là-bas ? Qu’espère-t-il ? Il n’a pas le temps de refermer l’ouverture, nous arrivons. Les suivant de près, nous gravissons les dernières marches. Le vent souffle, soulevant nos chapeaux que nous devons tenir à la main. Amadéor s’est délivré de son déguisement jeté à terre, il n’a qu’une dague, mais il plante cette lame au creux d’un bras, désarme ainsi l’un des gardes, lui prend sa rapière. De son côté, Lanteaume, après avoir pris un coup à
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