Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
lettres de marque, entrer à la Bastille, délivrer Lanteaume, tout cela en habit de pourpre, était par trop outrageant. Amadéor devait être puni, croire qu’il allait vivre ses dernières heures, savoir aussi qu’un maître insulté ne pardonne pas toujours à l’ami du passé.
Du reste, il fallait sauvegarder les apparences et continuer de faire respecter l’autorité de la justice, ne pas laisser croire à la faune des brigands, des hors-la-loi, des risque-tout, des traîneurs d’épée, que l’on peut échapper aussi aisément au châtiment final, au couperet tranchant ou à la corde promise. Il fallait que la population – échauffée d’ailleurs par des paroles (celles du condamné) qui n’inquiétèrent pas moins Son Éminence –, il fallait que la population, dis-je, se sente protégée par la solidité de ces garde-fous, punissant avec sévérité les crimes et les malfaiteurs.
Ensuite, deuxième raison : un homme mort est un homme qui peut continuer à vivre sous un autre nom. Don Juan de Tolède n’existe plus. Il est désormais enterré. Amadéor peut soit reprendre sa liberté, mais sa liberté ne serait pas très utile au cardinal, soit prendre un nouveau masque, jouer un nouveau rôle, rester un agent insoupçonnable, un infiltré que l’on ne pourrait rattacher à son employeur. Subtil.
Enfin, la dernière raison… est une raison toute personnelle.
Cette raison, nous en avons déjà parlé, mais elle demeure.
Le cardinal connaît bien son agent.
Or, cet agent ne doit pas tomber amoureux. Cela lui est vivement déconseillé.
Amoureux, il n’est plus maître de ses émotions, de ses sentiments, de ses actions. En somme, il ne peut plus être le serviteur indépendant, sans chaîne à son pied, faisant passer son service et sa mission avant tout, avant tous, avant toutes.
Oui, Amadéor doit fuir Paris, son cœur l’y perdrait. C’est du moins ce que pense Son Éminence, qui se soucie plus de la sauvegarde de son réseau qu’à la destinée de son dévoué protégé. Chaque homme, grand ou petit, voit midi à sa porte.
Mais ce n’est pas seulement l’amour, l’amour qui se respire dans l’air, dont Amadéor doit être délivré à son corps défendant, c’est avant tout et tout particulièrement de cette jeune frondeuse qu’il doit être écarté.
Son Éminence, alors, ne se doute pas des décisions et des choix auxquels s’est résolu don Juan de Tolède, et ce depuis qu’il a appris la véritable origine de cet oiseau de paradis.
J’accepte de te servir encore, maître Mazarini … ami Giulio , dit Amadéor, avec cette familiarité qu’il n’hésite pas à employer avec le cardinal, ce ton qu’il pourrait utiliser en privilégié… Mais à deux conditions, j’ai deux faveurs à te demander, deux souhaits à formuler…
Ces vœux, Sire, je préfère attendre encore avant de vous en faire part.
Il sera temps, bientôt, de vous les faire découvrir.
Il reste encore une chose à dire, avant de sortir de cette voiture, d’abandonner le cardinal.
La part manquante
Edmond de Villefranche m’a dit, souvenez-vous, Son Éminence a quelqu’un à vous montrer, mais aussi quelque chose.
Ce quelque chose, empressons-nous de dire de quoi il s’agit.
Mais là encore, je crois ne pas vous surprendre.
Oui, Majesté, ce que le cardinal tient à la main, ce qu’il me tend avec le sourire du vainqueur, ce sourire qu’il peut désormais afficher sans réserve, c’est bien la deuxième moitié du parchemin… cette moitié ayant appartenu au brigand Lanteaume, cette moitié complétant la liste des Conjurés, et sonnant définitivement le glas de la Cabale des Importants .
Un lieu d’asile
Cette moitié de parchemin, c’est bien Edmond de Villefranche qui l’apporta le matin même, aux premières heures du jour, au Palais-Royal, la déposant aux mains de Son Éminence.
Nous étions partis sur les traces de Main-gauche, mais à tout dire, cette piste ne me semblait pas sérieuse.
Lanteaume, certes, avait prononcé le nom de son lieutenant, avant de mourir, alors que je l’interrogeai justement sur l’emplacement du document. Mais Lanteaume avait bien des raisons de porter ce nom sur ses lèvres en rendant son dernier soupir. Main-gauche l’avait trahi, Main-gauche l’avait anéanti. Il ne pensait qu’àlui, à l’instant du départ, qu’aux souffrances que ce félon lui avait infligées. À moins qu’au seuil de l’éternité, il ait entrevu déjà un
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