Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
sa chair – son nez saigne abondamment – lève son pistolet et s’apprête à faire feu : ce qu’il ne peut avoir, il le tuera. Son bras se tend, son pistolet se baisse pour être dans l’axe, mais à cet instant, de ce côté où la frondeuse vient de chuter, un homme que personne n’a vu venir frappe la main du cavalier d’un coup de bâton. Le pistolet tombe.
Les mercenaires sont de nouveau obligés de se disperser, alors que des coups de feu partent en leur direction en touchantcertains, en manquant d’autres. Une nouvelle brigade de la prévôté venue en soutien nettoie la place en mettant le feu aux poudres.
Le cavalier est cerné. Il doit se rendre.
Sans rien perdre de sa superbe, Il ouvre les bras, s’esclaffe.
Allons, tirez, mes braves , dit-il en crachant du sang aux pieds de la milice, et voyez comme sait mourir un prince de sang, le sang à la bouche et le rire sur les lèvres !
…Parce que je m’appelle lion.
Oui, Majesté, ce fanfaron, ce Romulus qui devait ignorer l’identité réelle de celle qu’il projetait d’enlever, de cette sabine qu’il avait admirée au combat et qu’il souhaitait enfermer dans son château et coucher dans son lit, pour son bon plaisir et parce qu’il n’est pas homme à attendre l’heure du berger quand son cœur s’enflamme… Ce cavalier beau comme un dieu, fou comme un enfant, ivre de sa force, c’est votre proche parent, Majesté, comme vous petit-fils d’Henri IV, mais par le ventre de la maîtresse en titre Gabrielle d’Estrée. Oui, cet homme qui se rend en se gaussant, c’est François de Vendôme, duc de Beaufort, l’un des Grands meneurs de cette Cabale des Importants.
Allez, la messe est dite
Son nom, son rang le gardent des balles et des fers, du moins, pour l’instant. Aussi continue-t-il de parler comme si rien ni personne ne pouvait le contraindre :
— Quel beau laïus sur l’échafaud ! En voilà un qui aura semé un fameux désordre en place de Grève ! Regardez-moi tous ces morts. Plutôt que rester là, esclaves, les bras ballants, n’osant pas me séquestrer de crainte d’être conduit au gibet, vous feriez mieux de vous rendre utile, d’entasser les cadavres sur la voiture du supplicié, et de rouler aux Innocents ! Diable, c’est Paris, que vont penser les gens ? Qu’on peut s’égorger en nombre, sous le soleil, au mépris des représailles ! Allons, mes gueux, place nette ! Effaçons les traces et oublions chacun nos chimères. Quoi qu’en dise ce drôle, l’épée doit rester dans la main du maître. Le peuple est bon enfant, on peut lui serrer la main, vider son vin, trousser ses filles, à la bonne heure, je suis pour, et j’y suis bien ! Mais qu’ilgarde ses sabots, ce qui est à lui est à nous, et ce qui est à nous n’est pas pour lui, il ne saurait qu’en faire, comme une poule ayant trouvé un couteau !
François de Vendôme lève alors la tête, il se signe, nous désigne l’échafaud derrière nous et dit, d’un air abattu :
— Allez, la messe est dite, le voilà justement qui vient de rendre sa tête. »
Chapitre neuf
D’artagnan voit la vérité en face
— Oui, Majesté, c’est affreux. En voyant s’approcher la garde des archers, les cavaliers qui contenaient encore les gardes suisses sous la menace des canons ont détalé comme des lapins. Plus rien n’empêchait l’exécution. Un corps vient de tomber. Dans son sang. Une tête a été jetée au panier et l’annonceur veut le faire entendre haut et fort : Don Juan de Tolède est mort !
Le roi se positionne
— Non ! dit le roi, je ne le veux pas ! Pas ainsi, pas maintenant ! C’est affreux ! C’est injuste ! C’est cruel !
— Majesté, soyez courageux, soyez brave. Nous sommes tous anéantis comme vous l’êtes.
« Les uns pleurent, les autres baissent la tête pour cacher leurs larmes, certains se remettent à genoux. Si un homme est mort, une idée est en train d’éclore. Oui, Sire, le roi est le roi, Dieu est son maître comme il est le maître des hommes. Mais vous comprenez que dans ce royaume, plus d’un abusent de leurs privilèges, nous venons de le voir. Que ceux qui ont pourtant toutes les compétences requises, le désir de s’élever, sont contraints par les lois du sang de ne pas sortir du rang. Mais si les hommes d’une société, quelles que soient leurs origines, peuvent tous respirer à la même hauteur, c’est un royaumeentier qui va changer d’échelle et se rapprocher à grands pas
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