Don Juan de Tolède, mousquetaire du Roi
songea pas un instant à rejoindre la mêlée. Il observa, encore une fois, gardant le retrait. Ce recul qu’il conserva lui permit sans doute de voir ce que d’autres, pris dans la tourmente, ne pouvaient soupçonner. Pour lui, la chose était certaine. Toute sanglante et dramatique qu’elle fût, la comédie n’en était pas moins une… La pièce, somme toute, n’était pas finie. Fabien Delorme suivit les comédiens regagnant les coulisses, les laissa s’entretenir au secret, attendit le départ de ce beau carrosse qui ne devait pas emporter n’importe qui et, réjoui de voir qu’il ne s’était pas trompé sur le sort de ce condamné, moins mort qu’on l’eût cru, se prépara à faire son entrée, avant la sortie du héros, pour un dernier coup de théâtre.
— Eh oui, monsieur, dit-il à don Juan de Tolède, comme saint Thomas fouillant la plaie du Christ pour authentifier la résurrection,j’ai besoin d’enfoncer ma lame dans le cadavre pour valider son trépas. Ce duel, j’aurais pu l’éviter. J’aurais pu fermer les yeux plutôt que les ouvrir. Cela m’épargnait le déplaisir d’accomplir moi-même cette pénible tâche, car somme toute, je ne reste pas insensible à vos paroles, mais je suis là, et je ne suis pas un voleur, l’argent que j’ai reçu, il faut encore le gagner. M’accordez-vous ce droit ?
Don Juan de Tolède n’y voit pas d’inconvénient. Après tout, le voici délivré de toutes contraintes.
— Cependant, pour de multiples raisons, reprend l’assassin, j’aimerais mieux, si vous n’y voyez pas d’inconvénient, trouver ailleurs un terrain plus favorable. Le guet reste dans les parages, il voudrait s’en mêler, si des témoins venaient, vous reconnaissaient, ils ne comprendraient pas.
— Mais, c’est fort judicieusement raisonné, monsieur, dit don Juan, je vous suis. À la condition, toutefois, que d’Artagnan puisse nous accompagner. Je n’ai pas fini de lui serrer la main, et j’aimerais pouvoir le faire à tête reposée.
— À votre guise… à votre guise…
— Dans ce cas, monsieur, je vous laisse nous conduire.
Paolo Casal, la mort vient d’Italie
Oui, Sire, c’est fort sereinement que don Juan de Tolède suit l’homme qui fut payé pour l’assassiner. Je marche au côté, nous avançons tous trois dans la lumière, sur des chemins de verdure.
— Ma foi, c’est un beau jour pour mourir, dit Amadéor en souriant. Mais au fait, qui vous a engagé ?
— D’ordinaire, répond l’assassin, quand on me pose ce genre de questions, je garde le silence, mais les circonstances étant un peu particulières… Cependant, votre ami…
— D’Artagnan ? Nous n’avons pas de secret l’un pour l’autre.
— Paolo Casal. Ce nom vous est-il familier ? demande le bretteur sur gages.
— Certainement, dit don Juan de Tolède. Ah, D’Artagnan, sachez-le, une amitié changée en haine, rien n’est plus meurtrier. La violence des mécontents et des envieux fait force bruit mais porte peu, celle d’un homme de lignée ferait le tour du monde pour parvenir à ses fins. Paolo Casal, oui, était mon ami. J’ai eule malheur de vouloir le mettre en garde. Ce riche seigneur de Venise, ce puissant mécène devait épouser une femme d’une beauté souveraine. Il en était passionnément épris. Or l’amour rend aveugle quand il ne rend pas la vue. Cette femme me semblait légère et vénale. La fortune des Casal pouvait, en effet, aiguiller les désirs de la fiancée. Affaire courante. Comme les paroles passent et s’effacent alors que les faits sont parlants, je pris le parti de démontrer mes dires. J’ai donc approché la future épouse ; et la nuit venue, la jeune femme se montra sous son vrai jour. J’obtins d’elle ce qu’elle ne demandait qu’à offrir pour compenser un peu tout ce qu’elle désirait recevoir, et sans vergogne, je tirai le rideau pour la montrer nue, dans mon lit, au petit matin, à mon ami. Paolo Casal répudia sa promise et refusa de croire à mes bons sentiments à son égard. Outragé, humilié. Il me fit la promesse solennelle de me pourchasser ; car il fallut bien s’enfuir, et de me mettre à mort.
À la croisée des chemins
Chemin faisant, les langues se délient.
En vérité, si tout les sépare, Fabien Delorme et don Juan de Tolède ont quelques points communs. Ils ont fait les mêmes guerres, commettant et assistant aux mêmes atrocités, mais toujours dans des camps opposés. L’aventurier quitta
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